S’inventer : les poésies d’éventail de Luce Delhove
Les éventails créés par Luce Delhove ne sont pas de
ceux que tiennent avec nonchalance les dames qui figurent dans les tableaux
d’Edouard Manet, ni ceux qu’agitent violemment les femmes pendant
la corrida, cette messe de sang. On ne les verra ni dans les compositions
de Goya ni dans celles des impressionnistes. Ils sont purement métaphoriques.
Mais ils n’en condensent pas moins les principaux caractères
de ces accessoires, qui répondent à la fois à des fins
pratiques et à des caprices esthétiques. S’éventer,
c’est prendre une certaine contenance, se cacher le visage et le dévoiler
de manière furtive et c’est aussi imaginer un langage codé,
comme autant de signes sur une carte du tendre).
L’idée du vent,
du souffle, de la séduction, de la mascarade et de la théâtralité en
société s’allie ci avec celle de la séduction.
Comment se traduisent-elles ? D’abord par de grandes, intrigantes
et majestueuses installations, comme, par exemple, Le
Rêve de Stéphane
Mallarmé (2008, présenté à la Villa Tamaris,
La Seyne-sur Mer, puis au Centre d’Art Contemporain Raymond Farbos à Mont-de-Marsan
en 2009), où l’immense éventail noir (fait de plusieurs
noirs, les uns mats, les autres brillants) presque entièrement déployé ,
avec ses longues tiges, noires elles aussi, et accompagné de deux
grilles circulaires mues par des moteurs à un rythme plutôt
lent et d’une musique intitulée Cadres du vent de Caterina Calderoni,
qui en souligne la beauté et l’étrangeté de cette
beauté. Ensuite, par une vaste collection d’œuvres polychromes
(il y a des noires, des mouchetées, des rouges, des bleus turquoise,
des bleues et noires, des orangées, des vertes, des violettes, des
blanches, des grises, d’autres avec de l’or ou de l’argent,
etc.) de plus petites dimensions, garnies ou non de plumes, de tarlatane
noire, ou de plumets de toutes origines. Ils concilient valeur décorative
et valeur critique (par « critique », il faut entendre que
chacun de ces éventails se présente comme une énigme
artistique et donc comme l’ouverture d’un nouveau champ de spéculation).
Ces œuvres plissées se présentent bien comme des éventails
de nature onirique, transpercés par des aiguilles de toutes les formes
et de toutes matières. Elles peuvent s’accrocher au mur ou être
posés sur un meuble. Elles condensent en elles non seulement l’image
transposée de l’éventail réel, mais aussi celle
des grandes peignes et des épingles sublimes qui maintiennent d’architecturales
chevelures. Ce sont des compositions savantes mais d’une grande pureté conceptuelle
qui font le portrait de femmes fantasmées sans jamais représenter
le corps humain, ne le décrivant que par la fiction de ses accessoires.
Gérard-Georges Lemaire