les van Velde
« DEUX PEINTRES UN NOM »
« Bram et Geer van Velde : deux peintres un nom », Musée des Beaux Arts de Lyon, du 14 avril au 19 juillet 2010.
Des frères van Velde, Geer est le moins connu. Sa peinture anguleuse
est faite de personnages maigres, éthérés et ses visages
se réduisent à des profils verticaux. Geer comme son frère
Bram est est intéressé par ce que Beckett nomme en parlant
d'eux « la quintessence statique ». Sa peinture est une forme
d'ascèse mais n'est pour autant pas pure cérébralité.
Un texte de Jacques Kober écrit à partir de l'oeuvre exprime
bien ce qu'il en est de sa quête : « La lumière tous les
jours maigrit sur mes lèvres. Entre la joie et moi le jour et son
fil à plomb. J'ouvre l'espace jusqu'à l'oreille qui retentit
de Voie lactée dans la distance où le bleu s'affaiblit j'aime ».
Face à son frère pour qui nous sommes présents au monde
en la torture de l'innomé, Geer refuse de ne peindre que la misère.
Il ne veut pas faire sienne la formule de son frère « La peinture
c'est l'homme devant sa débâcle ». Geer opte pour une
peinture plus sauvage et plus constellée. Le corps cosmique est soumis
aux exigences du partage, de la pénétration, de l'antre. Le
soleil du Midi s'approche de la lumière argentée des images
sous la lune. Il y a le passage obligé du nord au sud, du blanc de
neige au bleu de la mer. Il faut accepter l’étranger dans l’intime,
l’intime dans l’étranger. Geer van Velde crée comme
l’on creuse. Et quand il touche le fond il creuse encore. Pour trouver,
fragment par fragment, toile après toile, ce qui nous fut retiré.
S'éprouve la fraîcheur au milieu de fins débris de rayonnements
et à l’intérieur des formes.
Bram van Velde pour sa part se soumet encore à l’incoercible
absence de rapports entre la nature et l'art. Il est l’artiste "idéal" qui écarte
l'exercice de la peinture de toute tendance réaliste et il envisage
le réel comme ostensiblement absent. Le peintre ne cherche jamais
l'hallucination par les images qu'il crée. Il touche à une
sorte de littéralité. Elle lui permet d’atteindre des
lieux inconnus de l'être. Il n'y existe plus d'image « possible ».
Le peintre est entraîné vers une sorte de crucifixion de l'image,
vers l'écroulement des formes. Dans son oeuvre le trait tente de dominer
la matrice, telles des flèches transperçant le corps d'un martyr
devenu invisible. Mais au même moment la matrice cherche à résorber
le trait. En ce double mouvement, van Velde instaure le désaveu de
la peinture.
De son oeuvre sont éliminés toutes les surcharges rhétoriques
et tous les effets de métaphores par l'utilisation d'une série
d'ellipses, de soustractions, de mouvements et de lignes contraires et contradictoires.
Ne subsiste plus rien, entre exaltation et anéantissement : rien que
des lignes tendues - comme le disait Bran Van Velde lui-même –« vers
la tombe », en une avancée où, parfois, par l'intermédiaire
des bains d'ocre, l'image semble croupir et se dissoudre. D'autres fois la
toile est portée au noir pour rappeler que la vie est un enfer, un
enfermement, d'où ces veines, ces défilés (de la mort)
comme inachevés, comme s'il n'y avait que le temps(mort) à passer
au travers pour un retour précipité, « éternellement,
perpétuellement », selon les prévisions de l'artiste,
vers la disparition et l’effacement.
Beckett a souligné la qualité « inexpressive » de
l'oeuvre du peintre et se félicite que, pour lui , « la certitude
de l'expression est un acte impossible ». Il est ravi de découvrir
au sein du travail pictural une contrepartie visuelle à la vanité de
l'expression qu'il traque dans sa propre recherche. Cette appréciation
de l'oeuvre du peintre ne va d'ailleurs pas sans heurts. Certains comme Georges
Duthuit estime que Beckett « plante dans l'esprit de Bram une mauvaise
graine, capable de tuer son génie créateur » puisqu’il
insiste trop sur sa fidélité envers l'échec et l'impossibilité.
Mais l'écrivain n'en comprend pas moins un des points essentiels de
l'œuvre. Et bien loin de tuer le génie du peintre il accorde
la première reconnaissance à celui qui - face aux « trois
chemins » de la peinture, dont il est fait allusion à la fin
de Peintres de l'empêchement - ne choisit. ni « le chemin du
retour à la vieille naïveté », ni « la dernière
tentative de vivre sur le pays conquis » mais s'oriente au sein d’un « chemin
qui bifurque déjà vers l'absence de rapport et dans l'absence
d'objet ».
Jean Paul Gavard Perret
« Bram et Geer van Velde : deux peintres un nom »,
Musée
des Beaux Arts de Lyon,
du 14 avril
au 19 juillet 2010