D’où vient le sentiment de délicieuse étrangeté qui nous saisit à la vue des travaux de Maude Maris ? Rien n’est simple ici, tout est équivoque : l’église, la pyramide, la piscine ou la maison ressemblent si peu aux choses qui d’habitude portent ces noms ! Tout se passe comme si l’artiste avait conçu le projet de reprendre plastiquement la Dioptrique de Descartes, c’est-à-dire le « bréviaire d’une pensée qui ne veut plus hanter le visible et décide de le reconstruire selon le modèle qu’elle s’en donne ». Maurice Merleau-Ponty, auteur de cette phrase, note aussitôt que Descartes est passé à côté de la vision, en a ignoré la « réalité effective ». C’est l’occasion pour le philosophe de formuler sa célèbre « énigme de la vision », l’énigme même dont Maude Maris semble développer les enjeux dans une démarche à la fois hautement novatrice et profondément enracinée dans une problématique qui passionne les penseurs depuis au moins Platon.
« L’énigme tient en ceci que mon corps est à la
fois voyant et visible. Lui qui regarde toutes choses, il peut aussi se regarder,
et reconnaître dans ce qu’il voit alors l’ « autre
côté » de sa puissance voyante. Il se voit voyant,
il se touche touchant, il est visible et sensible pour soi-même. » (L’œil
et l’esprit, Gallimard Folio-Essais, 1985, p. 18) Nous voici au cœur,
me semble-t-il, de la création de Maude Maris qui s’attache à la
question de la différence radicale entre ce que la sensation lui donne à éprouver
(sentiment, idée) et ce qui la provoque (un escalier, un cube creux,
un tréteau…) Ce faisant, elle explore la question de la dissemblance :
il n’y a en effet jamais, même dans la peinture ou la sculpture
la plus délibérément « réaliste »,
parfaite identification des images aux objets représentés.
Pendant des siècles, les artistes ont fait semblant de ne pas le savoir.
Aujourd’hui, Maude Maris place cette question au centre de sa réflexion.