Axelle Cannet
par Vianney Lacombe
Le travail d’Axelle Cannet obéit à un processus de réalisation très lent : plusieurs mois sont nécessaires pour réaliser ses grands formats, les Forêts familiales montrées au dernier salon de Montrouge ou Chaos 1 qu’elle présente à la galerie Guillaume dans le cadre de l’exposition Place aux jeunes. Chaos 1 parle du courant intérieur de la pensée, du flux des sensations qui se heurtent et cohabitent dans un désordre apparent, mais dans un même lieu, cette forêt intérieure représentée dans le tableau d’Axelle Cannet, qui est la grande ordonnatrice de cette fête rigolote et sérieuse. Chaque personnage et chaque objet a droit à tous les égards dus à son rang, à son rôle, à sa position, à son éloignement dans la composition et Cannet accumule les détails qui feront vivre et exister ces personnages comme des éléments réels de son vécu. Ces personnages sont peints avec des couleurs vives volontairement cernées de noir, et ces apparitions contrastées font penser à des tableaux de primitifs qui nous montreraient non plus le bonheur des élus au paradis, mais notre monde actuel avec ses petits pantins déchirants qui cherchent un bonheur rutilant à l’écart d’eux-mêmes.
Axelle Cannet met en scène ses personnages comme elle ferait avancer ou reculer des sentiments, en calculant le juste écart entre chacun d’entre eux afin de montrer ce qui les sépare dans leur existence. Elle dispose le proche et le lointain comme si elle mettait en œuvre son expérience et sa mémoire pour rendre visible le vide que nous remplissons par des gesticulations, de l’emphase, de la séduction ou de l’angoisse.
Tout cela ne passe pas par un étalage de sentiments caricaturaux, mais par la succession de tous les univers différents que représentent les personnages. Et au-dessus de ce songe vécu, les caméras font leur travail et nous montrent l’origine de tous ces comportements convulsifs, de cette autoreprésentation perpétuelle qu’Axelle Cannet ne dénonce pas, elle nous fait même au contraire partager cette agitation, cet exhibitionnisme, et c’est seulement lorsque nous réfléchissons à l’ensemble du tableau que nous nous apercevons que tous ces personnages sont cloués sur place par une sorte de gravité, qu’ils sont tous condamnés à rester immobiles à la même place au même moment, condamnés à répéter sans fin leur rôle, avec leur déguisement, saisis dans leurs contorsions et leur isolement pour toujours.
Axelle Cannet travaille la peinture avec un plaisir immense : il faut que le jeu soit splendide, et que nous soyons heureux d’y participer. C’est pour cette raison qu’il n’existe pas de temps morts, de zones neutres dans son travail : il y a toujours une volonté de varier les contrastes, les formes, les dimensions, les matières, afin que se développe une sensation de richesse et de densité colorée. L’ensemble de la toile est l’objet de cette attention, comme un petit univers dont elle surveillerait la cohérence et la réalité. Elle n’a que ses pinceaux pour nous le montrer : c’est donc engagement très long pour Axelle Cannet de peindre un tableau. Mais lorsqu’il est achevé, rien ne peut lui être retiré.
Vianney Lacombe