De mai à août, les français ont pu se familiariser avec loeuvre de Michel Gérard, artiste français vivant et travaillant à New York, grâce à la grande exposition organisée par le Musée Sainte Croix de Poitiers sous le titre The American Decade 1989-1999. Le par- cours était conçu et agencé par Michel Gérard lui-même, qui lavait déjà présenté à New York au Neuberger Museum of Art. Il sagit chez cet artiste de pièces et installations dans les maté- riaux les plus variés, dont le dénominateur commun est de lui permettre dy « inscrire une narration autobiographique » avec sa propre énergie.
Le temps est loin où Michel Gérard intervenait en tant que sculp- teur dans les agences dune grande banque à Paris, y travaillant un béton allégé à base de résine, matériau très friable pendant sa mise en oeuvre dans lequel il inscrivait des formes prélablement étudiées. Cétait vers 1970, à un moment où lartiste, fortement marqué par les événements de 1968 auxquels il avait participé, réalisait parallèlement une série quil baptisait Démonumentalisation. Il sagissait de sattaquer aux concepts dautorité, dhistoire et de pouvoir, quil démantelait notamment à travers des « Coffres-forts » fracturés ou éclatés, et des empile- ments de socles dépourvus de statue, sur lesquels il inscrivait les noms de Hegel ou Buffalo Bill
Cétait aussi le moment où, inté- ressé par lantipsychiatrie, il se liait avec David Cooper et Félix Guattari et lisait Wilhelm Reich, qui croyait en la présence dans lunivers dun fluide dénergie fondamentale, lorgone. Doù la création par Gérard, en 1972, dun Accumulateur dorgone.
Aujourdhui, Michel Gérard a complètement intégré la révolu- tion de lart qui a marqué les années 70 et discrédité les célèbres thèses de Clement Greenberg sur la nécessité de la pureté du médium. Comme lindique Arthur Danto dans son texte du cata- logue du Musée Sainte Croix (Un artiste de son temps), « lart serait fait de nimporte quoi, et dans nimporte quel sens, en réponse à complètement nimporte quoi (
) Gérard a utilisé des matériaux naturels comme la terre, le sable, la mousse, avec des matériaux industriels tels que le plomb, lacier, laluminium ou le verre sans être attaché à lidée dexplorer ces substances pour leurs propriétés spéciales, mais pour les significations aux- quelles elles contribuaient dans les installations ; ce qui devien- dra à partir de cette période une procédure centrale dans lart contemporain et dans loeuvre de Gérard elle-même ». Procédure centrale liée intimement à la biographie de lartiste qui, né en 1938, restitue des impressions et situations vécues pendant la guerre et dans les années daprès-guerre. Ainsi, il est parti en 1998 dun souvenir dadolescence. Il avait bousculé, en courant impasse Ronsin, un vieillard à barbe blanche qui lui avait simplement montré le ciel étoilé en lui demandant pour- quoi être si pressé par une si belle nuit. Cétait Brancusi. Le sou- venir est devenu Landing of the Endless Column: « la Colonne sans fin de Brancusi, explique-t-il, miniaturisée et coupée en trois par- ties à lintérieur de trois parachutes, atterrit dans le paysage photographié que je vois des fenêtres de ma maison dans le Limousin ». Tout au long de sa carrière (ponctuée de réalisations monumen- tales à travers le monde), Michel Gérard a modifié ses thèmes, ses méthodes, ses matériaux, en prenant un maximum de risques, de telle sorte quil peut déclarer aujourdhui : « Jai tou- jours voulu être capable davoir le pouvoir et la force dinscrire lénergie dune impulsion créatrice dans le travail, sans contrôle conscient. Quand je ressens que la logique dun travail en cours est menacée et renversée par quelque chose dinattendu, que je navais pas entrevu, je pense : jai réussi ».
Oui, décidément Michel Gérard est bien dabord un artiste de son temps.
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