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Dossier Myriam Baudin
La pratique de l’esprit pop
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Le pop art historique a notamment illustré la commercialisation de la femme en faisant clairement référence aux rôles spécifiques attribués aux deux sexes dans les stratégies médiatiques. C’est Richard Hamilton qui avait donné le départ avec les tableaux et dessins de la série $he(1958-1961). Il mélangeait la peinture et le collage pour mettre en évidence la marchandisation de la femme (le sigle du dollar incorporé dans le titre était évidemment à lui seul tout un programme) à travers la normalisation des comportements féminins, les désirs de la femme étant réduits à des types. Hollywood et la publicité étaient parfaitement en phase pour faire de la femme un accessoire de luxe au sein de la société de masse déterminée par des hommes. Myriam Baudin reprend et affine le thème : voici Ultra white (2006): dans le fond rose se découpe une silhouette de pin up, au centre un visage réduit à un large sourire, à droite le même sourire agrandi par un miroir grossissant (un sourire " ultra Brite " évidemment). À gauche, un robinet, des bulles, soit des signes donnant l’idée de la salle de bains. C’est tout, et cela suf- fit : avec une grande économie de moyens, l’artiste rend compte de ce qu’est devenu le culte moderne de la beauté et où en est la femme plongée dans le monde de l’apparence. Avec Moi aussi je veux passer à la télé (2005) elle va plus loin et plus fort. De cette jeune personne, nous ne verrons jamais que les fesses qu’elle nous montre en baissant son jean. En lieu et place des épaules et de la tête, le symbole onen électricité. Prête à tout, elle finira par obtenir un jour, sans doute, elle aussi, et comme tout le monde, son " quart d’heure de célébrité " comme l’avait génialement prédit Andy Warhol.

Gérard Le Cloarec, Nu remontant l’escalier, 2004. 146 x 114 cm. Myriam Baudin, L2, 2005. 81 x 65 cm. Peinture acrylique. Myriam Baudin, Quitter la terre, 2005. 100 x 100 cm. Peinture acrylique.

Mais à quel prix ! Faire ce qu’elle fait est la condition de l’efficacité, commente implicite- ment l’artiste, dans le monde des reality shows où il faut abandonner toute pudeur pour obtenir ce qui tient lieu de reconnaissance. Quant à César de la meilleure actrice (2001), il nous montre à peu près la même posture, mais exécutée par une professionnelle en bas noirs et porte-jarretelle, étreignant un cochon en peluche masquant son visage. Elle se détache au centre d’une composition en deux parties séparées par une diagonale suggérant un état de déséquilibre, voire de chute. La partie inférieure du tableau reproduit un carrelage à l’ancienne, de manière à nous indiquer la permanence de la condition féminine dans le show business : pour réussir dans cette profession, ne faut-il pas éternellement " payer de sa personne", pour cette actrice comme pour sa grand mère et, peut-être un jour, sa propre petite fille ? On imagine que des envies de révolte et de vengeance passent par la tête de l’artiste en tant qu’elle est femme : Miss bang bang(2003) veut-elle agir au nom de ses soeurs meurtries? Cette créature est séduisante, mais sa tête est coupée par le bord supérieur du tableau : Myriam Baudin concentre souvent l’intérêt de ses images féminines sur la seule bouche, arme de séduction. La femme tient dans son dos une arme tout court : un pistolet pour se protéger ? Ou bien parce qu’elle a décidé de passer à l’action ? Une sorte de halo sanguinolent, autour de sa tête, n’indiquerait-il pas son désir de tuer (l’homme, sûrement) ? De toute façon, nous ne pouvons douter qu’elle sait se servir de son arme – de toutes ses armes –. La lucidité de l’artiste n’est en aucun cas de la résignation, et si envie de meurtre il y a, celle qui l’éprouve garde un maintien d’une élégance parfaite. Comme le tableau lui- même.

Il arrive que Myriam Baudin s’intéresse à une forme de comportement échappant encore largement au contrôle de la société : celui des filles qui s’aiment par exemple, ce qui donne L2(2005) qu’il n’est pas difficile de traduire par " elles deux ". Elles sont nues jusqu’à la taille (leurs jeans sont stylisés, mais leur chair est peinte avec un joli modelé, petite entorse au principe de l’aplat cher aux artistes pop), leur esquisse d’étreinte est à la fois timide et gracieuse. Elles n’ont pas de têtes, mais en lieux et places de ces dernières, l’artiste a représenté des prises informatiques non compatibles. C’est frais, charmant. L’absence de visage fait de ce tableau un éloge de la sensualité en général bien plus qu’un improbable manifeste lesbien. Ce tableau n’est pas classique au sens où l’entendait Wölfflin, mais baroque au contraire, dans la mesure où il suggère beaucoup en montrant peu.

Myriam Baudin Myriam Baudin, Moi j’ai plein de contacts, 2005. 130 x 97 cm. Peinture acrylique. Myriam Baudin Myriam Baudin, Moi j’ai plein de contacts, 2005. 130 x 97 cm. Peinture acrylique.

Les hommes ne sont pas absents de l’univers de Myriam Baudin: eux aussi sont des consommateurs. Eux aussi, nous l’avons déjà vu, sont attentifs à leur paraître et à une certaine forme d’épanouissement. Parfois, il leur faut prendre des décisions, et cela donne Quitter la terre(2005). Sur un tracteur fortement stylisé, un élégant jeune homme paradoxalement habillé comme à la ville (disons, comme dans les publicités du genre Hugo Boss) et portant lunettes de protection semble en marche vers un nouveau destin. Au dessus de lui, le modèle qui sans doute l’inspire, lui a déjà dicté son habillement (et qui correspondrait à la " survie " au sens situationniste, l’image de vie qui se plaque sur sa propre vie). Le modèle est torse nu et porte des lunettes de coureur de formule 1 : il devrait, on le sent bien, triompher des dernières hésitations du candidat à l’exode rural. Myriam Baudin, venue du monde des exploitations agricoles d’Île de France, connaît la question et la résume avec sobriété et efficacité, comme à l’accoutumée.

Ainsi, comme celles des pop des années 60, les œuvres de Myriam Baudin manifestent la correspondance entre mass media et réalités sociales et, plus encore, les conséquences qui en résultent pour l’individu et sa perception de la réalité, lui qui ne se voit plus qu’à travers les lunettes des médias. Nous ne vivons plus directement la " réalité " mais celle qui est mise en scène par ces derniers, et nous croyons dans le mécanisme des images qui nous environnent, parce que les mass media nous transmettent leur message de manière naturelle, légère et simple, ce dont rend parfaitement compte la peinture de Myriam Baudin. C’est ce travail typiquement pop qui nous fait comprendre comment le conflit entre l’individu et la société n’est qu’apparemment résolu. La "culture " n’est plus de la responsabilité d’une minorité de créateurs, ce sont des techniques industrielles massifiées qui produisent de nouvelles réalités. Le pop art s’introduit subrepticement dans ce processus : vivant de la fascination qu’exercent les médias et se déclarant en faveur de la séduction (non sans un certain cynisme dans le cas d’Andy Warhol) le pop art y oppose tout de même un retour sur les possibilités de créativité de l’individu. Dans ses tableaux, Myriam Baudin donne à voir le fait que les médias sont devenus une réalité incontournable, modifiant la conscience et les capacités de perception de l’homme, et dans le même mouvement, elle suggère que certains de ses personnages ne sont pas dupes: consommateurs de marques, ô combien, "ils assument le fait de se laisser séduire par tous les univers qui inspirent la beauté, le plaisir, le bien-être " dit-elle. Bref, un peu comme le Boy with machine de Richard Lindner (un pop artiste), image rendue célèbre par L’anti-œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari, nous nous savons inexorablement reliés à la grande machinerie technique si bien traduite par les médias, mais beaucoup d’entre nous ont appris à en jouir, ce qui n’est déjà pas si mal. Reste à aller au-delà des valeurs purement matérielles et à atteindre celles que l’on pourrait appeler avec l’artiste " émotionnelles, voire spirituelles " nécessaires à un épanouissement complet de chacun. Myriam Baudin ne désespère pas de ses contemporains, elle les observe même avec une tendresse contagieuse. Nul doute que voici une manière nouvelle de pratiquer l’esprit pop et, qui sait, de le dépasser.
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Jean-Luc Chalumeau
mis en ligne le 18/12/2006
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Myriam Baudin
La pratique de l’esprit pop
par Jean-Luc Chalumeau

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