Omerville, 15 septembre 2007
La période des vacances favorise un souhait constant et rarement accompli dans nos existences où il y a toujours quelque chose à faire. Ce souhait est de découvrir des livres, de les lire, de lire ceux quon a conservés mais pas lus en leur temps ou ceux quon devait lire, et enfin de relire ceux quon a aimés afin de redécouvrir pourquoi on les a aimés. Du tas que jai constitué, que jalimente désormais de mes choix pifométriques et qui me guette, jai tiré cet été, sous la pluie, quelques livres. Je me bornerai pour linstant à évoquer par une analyse comparée deux dentre eux. Dautres suivront dans mes prochaines chroniques.
LIVRE DAUJOURDHUI, LIVRE DAUTREFOIS
LHomme qui marche au bord du monde (2007)
La maison dans la dune (1937)
Je dois ces deux livres à la maison Albin Michel, comme devait dire le critique littéraire du Monde quand jétais jeune, mais cette maison reste à mes yeux celle dun éditeur authentique et complet. Ce choix ma conduit à réunir la lecture de son édition dun premier roman daujourdhui et celle de la réédition dun roman qui fut célèbre dans les années trente du siècle dernier. Ce couple ma convenu. Au-delà du talent décriture des deux auteurs, chacun dans son genre et selon son époque, ces deux ouvrages partagent sur pas mal de points une approche et des aspects comparables. Pour lessentiel cela ma paru être une vision du monde et de la nature humaine qui, à soixante-quinze ans décart, associe et confronte, selon deux histoires et deux styles bien différents, mais dans les deux cas exemplaires, les charmes comme la platitude ou les banalités heureuses de la douceur et des joies de vivre offertes aux êtres simples, généreux et de bonne volonté. Une vision comparable aussi, chez ces deux auteurs, des conflits et des défaites qui en résultent dans leurs combats perdus avec celles et ceux qui militent en faveur des penchants pour le mal et la médiocrité de la nature humaine, et qui sont ainsi confrontés aux iniquités comme à lâpreté et à lextrême violence du monde et des hommes.
Le premier livre est le premier roman, paru en avril dernier, de Marie-Hélène Westphalen, Lhomme qui marche au bord du monde, titre superbe en tout cas, même sil magnifie à lexcès une tragédie réelle mais aux dimensions modestes. Le second livre est la réédition en juin dernier du premier et célèbre ouvrage qui lança Maxence Van der Meersch en 1932, La maison dans la dune, avant quil soit prix Goncourt en 1936 pour Lempreinte du Dieu et Grand prix de lAcadémie française pour Corps et âmes en 1943. Dans les deux cas, on imagine, comme dans la chanson de Prévert, les pas des deux héros que le vent efface sur le sable. Cest sous leffet des vents du nord pour Van der Mersch, écrivain régionaliste et quelque peu naturaliste, mais aussi grand peintre social et grand chrétien du nord au siècle passé. Cest sous leffet de tous les vents du monde pour Marie-Hélène Westphalen, une symbolique dont elle a dailleurs tiré une belle illustration de silhouette lointaine et perdue sur fond de vaste littoral de nulle part pour la couverture de son roman, à lheure dune mondialisation et dun infini toujours plus incertains, devenus ceux de notre temps, en particulier ceux du sien et de sa génération.
Dans La maison dans la dune, on est tenu en haleine. On lit dun trait, mais dun pas lent, soutenu et rendu captivant par lécriture de lauteur, le récit qui se déroule dans le décor dune région, dune ville (Dunkerque), de bars louches, dune nature, de sites et de lieux banals, mais caractéristiques, superbement, minutieusement et passionnément décrits. Lintrigue est celle du combat soutenu, retors et souvent mortel opposant douaniers et contrebandiers, en particulier de tabac, de part et dautre de la frontière franco-belge. Louvrage nest pas sans désuétudes. Pour la petite histoire, jai bien sûr retrouvé dans la trame de ce roman, avec un plaisir amusé, la dialectique de fond, exprimée avec doigté mais en toute clarté, du bien et du mal ou du diable et du bon Dieu, dialectique chère aux bons pères des écoles religieuses de mon temps. Ils autorisaient volontiers et recommandaient même aux adolescents de lire en salle détude, aux moments autorisés, les ouvrages de Van der Meersch dont ils paraphaient avec empressement de leur plume la page de garde, signe de croix à lappui. Si ces excellents romans comportaient, entre bien dautres choses, des descriptifs aussi précis que bien venus des tentations, des plaisirs et des tourments des sens et en particulier de ceux quon qualifiait alors de péchés de chair, ces récits nen comportaient pas moins, dans une démarche sous-jacente et salvatrice de rédemption divine, des scènes et des conclusions édifiantes sinon des accidents et des morts exemplaires. Nous entendions la leçon, mais nous apprenions surtout à quoi correspondaient les péchés de gourmandise et de luxure dont on nous rebattait les oreilles et qui ne nous étaient guère accessibles à nos âges et dans les années de restriction des tickets dalimentation J2 et J3 de laprès-guerre. Mais cela donna aux fameux J3 davantage didées pour plus tard, et pour certaines et certains jusquau surcroît pervers de plaisir apporté comme chacun sait par la transgression des interdits. Que le ciel nous pardonne.
Dans lHomme qui marche au bord du monde, premier roman, publié cette année, lhistoire, à la fois banale et envoûtante, est bien celle des tribulations dun homme très jeune rejeté dès sa naissance, dans son village breton, par un sort originel tragique, et marginalisé ensuite, malgré lui, dans le contexte dune erreur judiciaire dont il est la victime. La aussi, on est de bout en bout tenu en suspens, mais cette fois à vitesse accélérée, dans le style à mon goût un peu trop journalistique et haletant daujourdhui, mais à la perfection, par les aventures hors du commun de cet homme tendu par le désir de vivre et si possible daimer. Cest une saga très informée qui se situe pile au coeur de notre nouveau siècle, engendrée par la malédiction collant à la peau dun héros qui tente pendant quinze ans, sans grand succès, dy trouver une issue et qui ny parviendra quà la dernière page. Cest une histoire prenante, mais sinistre et par bien des côtés insupportable. Lauteur ne nous fait pas grâce des détails de cette odyssée désespérée et désespérante, malheureusement créée à limage des faits-divers comme des grands crimes et délits de notre époque. Cela va de la Bretagne à une prison de Normandie et au site indien dAlang écologiquement mal famé, où des hommes rappelant les drames concentrationnaires insoutenables du siècle dernier dépècent dans les pires dangers les coques de toutes sortes de navires hors dusage, jusquà la mer de Béring et à ses pêches morutières périlleuses. Ce nest donc pas un roman à leau de rose, mais au contraire un monde noir du sang des pauvres et des prolétaires de notre planète, damnés de la terre de notre nouveau siècle. En deçà et au-delà de lhistoire, ce livre est conduit dans un style plutôt éblouissant de talent et plein de trouvailles, jusque dans les codes stylistiques et typographiques. Il y a des tableaux bien meilleurs que ceux des reportages quon peut lire ou voir ici et là. Lauteur, au terme de chaque chapitre, a le sens des chutes et fabrique des formules très réussies. Parfois trop, comme cest le cas pour les dialogues, très bien conduits et rédigés, mais un peu trop nombreux. Bref, ce livre qui ne se veut pas un roman stendhalien pourrait aisément devenir le scénario dun film (coûteux) mais dans le goût du temps. Par certains aspects, ce livre est écrit avec le regard, cest son originalité. Sa structuration rappelle celle dun scénario dont on se prend à entendre les dialogues, en les créant malgré soi entre les lignes. Le livre souffre un peu dun découpage qui ne facilite pas toujours un suivi facile des aventures du héros. Mais il y a le style ! On espère que lauteur pourra le mettre la prochaine fois au service dune histoire moins pessimiste et plus aimable, nen déplaise à Gide. La dimension spirituelle et parfois de sublimation à propos de quoi jai tout à lheure mis en boîte Van der Meersch et les bons pères de mon temps pourrait peut-être prendre une meilleure place sous la plume, pardon le clavier, de Marie-Hélène Westphalen, à condition bien sûr de ne pas trop touiller dans la marmite des bons sentiments. Une dose despérance et de lumière, sans aller trop loin dans leur symbolique miraculeuse, pourrait ainsi atténuer le désespoir consubstantiel à ce très bon premier roman. Lauteur en a visiblement toutes les capacités et cela renforcerait à mon avis la densité du fil conducteur de son prochain livre.
Nota: Je veux signaler la publication (en juillet), très réussie et passionnante, nourrie de splendides et inédites illustrations, des Actes du colloque international sur lart sacré contemporain tenu à Ronchamp en septembre 2005 (Ronchamp, lexigence dune rencontre, Le Corbusier et la chapelle Notre-Dame du Haut, colloque).
Jen avais rendu compte dans le N°40 (janvier 2006) de VERSO, mais cet ouvrage est indispensable à celles et à ceux qui sintéressent à cette dimension de lart contemporain. (VARIA -Fage éditions, Lyon (fage.editions@free.fr) et association de loeuvre de Notre Dame du Haut (AONDH), chapelle de Ronchamp, 70250 Ronchamp, chapellederonchamp@wanadoo.fr).
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