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Dossier Gérard Le Cloarec
Être peintre par les qualités mêmes de la peinture |
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Il est probable que des personnes vont sarrêter sur la représentation de Van Gogh à loreille coupée, non seulement parce que Gérard Le Cloarec la privilégie (elle est au premier plan, elle est en couleur) mais aussi parce quils connaissent lhistoire tragique de Van Gogh. Ils perçoivent donc luvre à travers le contexte de la vie de lartiste à qui Gérard Le Cloarec rend hommage, la structure du tableau leur étant inaccessible ou simplement indifférente.
Dautres, plus subtilement, sans rien ignorer bien sûr de lanecdote, sintéresseront essentiellement à ce que le peintre a fait de son sujet : double aspect de la personnalité de Van Gogh (passion dun côté, raison de lautre) mais aussi synthèse assumée par lautoportrait de Le Cloarec, lui-même divisé en deux : partie gauche du visage en couleur, partie droite blanche. Lauteur intègre en lui les deux interprétations que Van Gogh a données de lui-même en lespace de huit mois. Il assimile dans son tableau deux uvres dont il rend compte des styles dorigine respectifs avec fidélité tout en leur conférant à lévidence à chacune, en plus, son propre style ! Passionnant jeu de va et vient au sein duquel chacun peut saventurer, mais plus ou moins. Nous avons ici la démonstration réussie dune position consistant à suggérer que cest le sujet esthétique (moi qui regarde) qui accomplit luvre en choisissant le mode dinterprétation qui me convient. Gérard Le Cloarec propose, et nous invite à exercer notre propre pouvoir créateur à notre guise. Cest la singularité du sujet regardant qui décide du mode dappropriation de luvre. Cette appropriation sera rudimentaire ou sophistiquée, avec toute une gamme de positions intermédiaires possibles, car lartiste nimpose rien. Il respecte la liberté du spectateur, admet toutes les lectures de son travail, et cest là que réside la richesse de ce dernier. Les portraits de Gérard Le Cloarec sont, autant que des peintures, des leçons pour mieux regarder la peinture.
En 1992, Gérard le Cloarec a peint une uvre-manifeste à usage intime. Il sagissait de faire un cadeau à une personne de sa famille (le point de départ serait donc une vue du phare de Penmarch), mais sans consentir à des concessions qui auraient affaibli la qualité artistique du travail : quelque détail « pittoresque » par exemple. Voici donc Eckmuhl, peinture acrylique sur toile, association de réseaux dont lun, panoramique, rend compte du scintillement des lumières du port dans lair et dans leau, et lautre, qui éclaire lensemble, en forme de crâne, lance ses antennes de toutes parts et semble intensément habité par le fourmillement des codes et signes familiers. Non pas une vanité, mais plutôt la reprise du message de Léonard : la peinture est cosa mentale. Jouir de cette uvre, comme des autres dailleurs, cest prendre le temps de repérer les divers instruments qui déterminent leur évanescence subversive.
Tout tableau de Gérard Le Cloarec montre un monde en train de se faire tout en défaisant le réel, un monde à létat naissant : non pas représenté (copié) mais ramené à son origine. Ce qui sengendre dans notre vision de spectateur attentif, ce nest donc pas «le réel», mais un réel possible.
Ce nest pas la même chose ! Ce peintre nous rappelle magistralement que la peinture, la vraie, nous propose toujours un possible qui nous instruit du réel. Essayons de dire les choses autrement, à la suite de mon ami le regretté critique Marc Le Bot (un autre breton) qui aurait, jen suis sûr, beaucoup aimé les travaux des dernières années, notamment les visages de noirs Massaï ou dindiens en 2002, quil na pas pu voir : ce que le peintre veut, cest, du réel, rendre visible ce qui nest pas vu, ce qui en appelle à une vision plus originaire : le pré-réel selon lequel lêtre surgit à lapparaître. Vous vous souvenez ? Il faut trouver la bonne distance pour y parvenir. La peinture est affaire de vision, la peinture est « rétinienne » ou nest pas. Elle est affaire de valeurs, de couleurs et, oui vraiment, de jouissance. Puisque, tout compte fait, Duchamp et ses disciples ne sont toujours pas parvenus à ce que le plaisir rétinien soit défini par le code pénal comme un crime passible dune mise au ban de la société, profitons en: il est là, offert avec une générosité illimitée par un peintre étonnamment fécond. Allez donc le découvrir, ce plaisir : il suffit de regarder. Mais noubliez pas : à la bonne distance !
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Jean-Luc Chalumeau |
mis en ligne le 19/08/2006 |
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Gérard Le Cloarec
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