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Dossier Gérard Le Cloarec
La peinture comme éblouissement |
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par Thierry Laurent |
Avec Le Cloarec, cest dabord la couleur qui capte le regard. Une couleur pleine dinsolence. Lartiste nous montre une peinture dans sa pure essence lumineuse, qui se joue des notions de figuration et dabstraction.
Les toiles de Le Cloarec sont construites à partir dun vaste fond de couleur pure : le jaune des tournesols, le bleu des fonds marins, le rouge des capes de torero. Lartiste retravaille son fond afin de lui conférer un surcroît de scintillement, et pour cela, il juxtapose une infinité de touches dont les nuances se distinguent de façon infinitésimale. Le résultat pourrait être celui dun monochrome, mais voici des colorations en mosaïque qui nous rappellent lincandescence des toiles de Rothko. On la compris : ce nest plus tant la couleur qui intéresse lartiste que léblouissement du spectateur.
Et puis, il y a le sujet central de luvre. Ici, rien à voir avec le fond étal. Bien au contraire, cest la touche isolée, bien délimitée, qui structure la forme. Que voit-on au centre de la toile ? Un formidable champ de bataille chromatique où sentrecroisent, saffrontent, se juxtaposent une foultitude de touches géométriques. Voici des étincelles jaillissantes, des kaléidoscopes affolés, comme si des volcans projetaient dans lespace dintenses éclaboussures de couleurs acides. Mais Le Cloarec opère un tour de prestidigitation. Car du chaos chromatique va surgir la représentation.
Il faut peut-être accomplir un ou deux pas en arrière de la toile pour que la magie fasse effet : une forme humaine apparaît, se reconfigure, ici un corps dans léclat de sa sensualité, là un visage au regard énigmatique. Le Cloarec peint des corps qui se déploient dans toute la force de leur musculature, ou dont la puissance physique au repos reflète lintensité de la méditation. Le Cloarec proscrit le dessin comme vecteur principal de la forme. Les touches de peinture se lisent comme la force structurante du réel. Chacune a la forme dun trait ordonnancé, dun rectangle étroit, dune croix, dun triangle, et constitue la brique primordiale dun jeu de construction pictural. Bien sûr, il y a des précédents. On pense aux points de couleurs du post-expressionnisme, aux points de la bande dessinée que Roy Lichtenstein sest évertué à rendre visibles, aux pixels de limage numérique. Cest bien limage contemporaine que nous restitue Le Cloarec.
A partir des années 1990, le Cloarec entreprend une hallucinante galerie de portraits. Francis Bacon, Tabarly, Courbet, Colette, Malraux, Duke Ellington, César, Pierre Restany, Gauguin, Pierre Cardin, Ray Charles, Céline, et bien dautres, qui appartiennent au panthéon des arts et de la littérature. Non pas des portraits psychologiques, en ce sens que lartiste ne tente ni de saisir la ressemblance physique, ni de définir le caractère de la personne. Non, ses portraits sont plutôt des archétypes, une manière de cerner la catégorie éthique à laquelle se rattache le personnage, bref lidée force quil incarne.
Rimbaud nest pas lindividu Rimbaud, mais la figure du poète, un visage triste de beau jeune homme, lointain, presque absent, cest lessence du destin rimbaldien qui ici transparaît. De même, le visage de Tabarly nest pas seulement celui de Tabarly, mais la mise en valeur du courage physique, de la solitude acceptée, de la volonté inébranlable de dompter les éléments. Il y a en revanche de la douceur dans le portrait du couturier Pierre Cardin, le front est amplifié, les lunettes sont bien visibles, voici donc la figure du créateur qui intériorise lémotion, médite sa création, réfléchit ses modèles. Du portrait de Ray Charles, jaillit comme une férocité guerrière, un sourire radieux, celui du musicien dont la voix triomphe du terrible handicap dêtre aveugle, ici rendu bien visible par la présence presque exagérée des lunettes noires. Cest le César de la vieillesse qui est portraituré, et il y a comme une inquiétude qui transparaît du regard, comme si lartiste contemplait de lau-delà ses chefs-duvre.
Entre lui et Pierre Restany, il y a un air de complicité. La barbe en bataille peut-être ? Chaque visage est donc lexpression dun archétype : le poète, laventurier, lartiste, le grand couturier, lécrivain.
Avec Le Cloarec, on songe aux toiles les plus fauves de Matisse : libre jeu de surfaces chromatiques qui provoque lenchantement. Une peinture qui se passe du discours. Un pur hédonisme de la couleur. |
Thierry Laurent |
mis en ligne le 19/08/2006 |
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Dossier
Gérard Le Cloarec
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