version impression |
participez au Déb@t |
Dossier Kafka
Redécouvrir Franz Kafka (2) |
|
Quatre institutions prestigieuses présentent lexposition K... comme Kafka entre Toulouse et Albi à partir du 11 et du 12 mars jusquau 16 mai : le musée du Cayla, le ch&Mac221;teau de Linardé, labbaye de Beaulieu et le musée de Gaillac, sans compter la médiathèque de Gaillac et la librairie Ombres blanches à Toulouse. Gérard-Georges Lemaire a demandé à une vingtaine dartistes. Ces derniers ont écrit des commentaire pour expliquer la genèse de leurs oeuvres ou ont fourni les principales clefs pour les déchiffrer. Voici en exclusivité pour les lecteurs de Verso quelques uns de ces écrits. |
Sous le signe
du Cancer
Sergio Birga
Je nai découvert loeuvre de Kafka quen 1961. Cétait dans un livre de poche de lUniversale Economica des éditions Feltrinelli. Je ne lai acheté, certainement pas pour le médiocre dessin de la couverture (un imitateur de Picasso), mais grâce au texte de la quatrième page de couverture signé par un des plus grands poètes italiens. Après avoir loué le fait que ces récits fussent les seuls publiés du vivant de lauteur, ce dernier mettait en évidence le rapport de son art littéraire avec lexpressionnisme picturale de lEurope centrale. Or, à cette époque, ma peinture était influencée par le vitalisme, coloré et violent, de lexpressionnisme, en réaction aux mouvements en vogue à Florence une abstraction très sévère et un misérabilisme soidisant social, souvent monochrome.Dans ma jeunesse, jai éprouvé un sentiment de révolte à lencontre de la société et de la condition de lindividu. Cette lecture ma enthousiasmé, surtout celle du Rêve et La Métamorphose, si inquiétants et si proches de ma propre sensation de la vie. Je memployai à « traduire » ces récits par la xylographie, technique oubliée à laquelle mavait initié un graveur toscan, Pietro Parigi que jadmirais à travers les artistes de Die Brücke. Jillustrai ensuite Le Procès (« Devant la Loi » et « Lexécution »), qui éveilla en moi des correspondances plastiques. Jaurais pu marrêter là. Mais en réalité, je me rends compte que le réel fantastique de Kafka a constitué lun des fondements permanents de mon inspiration. En 2002, je gravai Franz Kafka un an à peine avant sa mort avec, dans le fond, les étoiles quil contemplait dans « Description dun combat » Il récitait à voix haute le nom des étoile sans nombre.
Aujourdhui, je termine deux nouveaux tableaux, accompagnés de leurs xylographies, inspirés par lun des premiers et lun des derniers récits de Kafka. Jévoque limage de la Prague que jaime dans Description dun combat et je reprends un de mes thèmes favoris Zircus K daprès Un artiste de la faim. Pour conclure sur une note irrationnelle, mais sincère, ce que jai aimé aussi dans Kafka, cest son signe qui implique le retour sur soi, la mélancolie moderne, le sentiment dinaccessibilité au sens caché des choses quotidiennes, quon retrouve, entre autres, dans La Recherche du temps perdu de Marcel Proust, dans les oeuvres littéraires et picturales de Giorgio de Chirico, natifs (comme moi!) du signe du Cancer
Un Rêve de K.
Hans Bouman
Jai rencontré Kafka dans mon adolescence en lisant Le Procès et Le Château. Une cicatrice du passé ma amené quelques années plus tard à lire Lettres à mon père.
Ce fut une rencontre riche. Dès le départ, je fus fasciné par cette oeuvre dense et profonde, car plus que chez dautres romanciers, K., le protagoniste principal est indissociable de lécrivain K. Ce va-et-vient entre personnage réel et personnage imaginé, me conduisais dans un monde de symboles se présentant sous forme dun chemin labyrinthique vers un espace inconnu et impénétrable, sans pour autant faire perdre lespoir de percer les mystères de notre monde. Sur les méandres de ce chemin étrangement inaccessible, je me sentais bizarrement à laise. Jassociais ces écrits à la couleur noire, se dissolvant dans le camaïeu dune atmosphère brumeuse.
Un Rêve, court texte édité en 1917, ma inspiré pour rendre hommage à Kafka, car tout son univers me semble être contenu dans cette nouvelle qui est plutôt un cauchemar : lécrivain Franz Kafka, accompagné de son alter ego Joseph K., nous conduit dans un univers surréaliste et riche en images sur une sente qui serpente vers cet espace inconnu, impénétrable et pourtant universel : la peur de la mort.
Dordinaire je mexprime par la peinture et la sculpture. La lecture dUn rêve, ma inspiré une « bande cinématographique animée» qui rend ce que jai ressenti visible, aussi bien sur le plan pictural que sur le plan sonore, et fait surgir les différentes couches de lambiance onirique de loeuvre de Kafka.
Ma grande muraille
Daniel Dezeuze
La Muraille de Chine de Franz Kafka est une nouvelle insolite. Est-elle vraiment achevée?
On y voit des trous, des vides, des absences de liaisons. Exactement comme cette muraille de Chine décrite au début du récit, muraille construite deci, de-là, par des maçons venus de tribus différentes et qui narrivent pas à faire la jonction entre les différents tracés. Jai retenu lidée de ces vides en construisant une sculpture ajourée, légèrement courbée et qui contient un troisième panneau, lui-même ajouré et replié à lintérieur des deux autres. Cest le seul que jai peint avec des couleurs sombres - en décalage donc. Je nai pas suivi le récit à la lettre mais jévoque ses ajours, ses espacements et surtout sa dimension mystérieuse. Kafka semble attaché ici à lidée dune organisation sociale qui tourne sur elle-même; une espèce de bureaucratie se construit sans raison et se développe sans direction précise. Elle ne sert quà cacher un vide redoutable.
Les structures sociales enferment lindividu mais la Muraille est ouverte aux quatre vents. La société est tarabiscotée, ritualisé, impénétrable, mais lon peut franchir le plus grand monument du monde censé le protéger en passant par ses faciles intervalles doù peuvent débouler tous les barbares de lAsie.
Les songes de Kafka
Andrea Fortina
« Nous sommes de la même étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est ceinte de rêves
» Je ne cache pas que cette phrase du Prospero de Shakespeare ait été la clef et la tonalité de mon travail sur Kafka onirique. Lénorme masse de rêves que lécrivain raconte, décrit ou simplement consigne adopte les caractéristiques dune existence parallèle où le rêve ou létat hypnagogique deviennent pour un Kafka insomniaque la frontière encore plus labile à grand peine gardée par les monstres de la Peur et de la Réminiscence. Ce sont même ces créatures du profond à guider lauteur dans un monde crépusculaire où les images prennent parfois une densité impressionnante et, dautres fois, glissent sans se fixer pour savérer de pures métaphores de la métamorphose.
Javoue être frappé par la grande variété de tonalités de son vécu onirique quil traduit par la plume. Elle va de la sincérité évidente de la notation à des formes de description où effleure lintention de qui sait que son texte sera lu. En tout cas, Kafka, narrateur des rêves, est très différent de Kafka écrivain. Il paraît si intéressé au contexte et au contenu quil laisse échapper de ses mains des images puissamment picturales. Parfois de vrais tableaux.
Cest le cas du rêve du 20 novembre 1911 où il cite une oeuvre inexistante dIngres, une figure féminine dans un jeu de miroirs placé dans un bois. Jai voulu le peindre en minspirant dune authentique petite huile dIngres. Limage dun rêve qui se reflète dans un miroir dont émane «une
lumière jaunâtre » est cependant trop suggestive pour ne pas penser à des cabalistes extatiques comme Ibn Gabiroyl et ne pas aller jusquà représenter les deux figures faites à partir de rien comme les colonnes latérales de lArbre Séfirotique. Ce sera la frontière entre le rêve et le miroir dans le rêve qui indiquera la colonne centrale. Cette figure éclatante semble revenir transformée dans le rêve quil a raconté à Milena en 1920 où laimée est en flammes et où lauteur fusionne avec elle. La description de lexpérience onirique se superpose presque à celle de la rencontre de BenAzzaY avec la Shekinah sous la forme dune lumière si forte que le seul fait de désirer la regarder lemporta en son sein, confondu pour toujours avec lOrigine de la Puissance. Je lai peint en pensant à laspect lumineux de cette image commune dans les récits hassidiques et en conservant à lesprit le verset biblique « ma femme est une colonne de feu qui chemine sur terre. Maintenant jen suis prisonnier
» - tellement chargé de sensualité et de dévotion.
Kafka qui refuse les relations sexuelles émerge avec une description trouble, merveilleusement picturale, où les lumières sont précisément indiquées dans une atmosphère de grande confusion.
Les taches sur le corps des prostituées et sur les mains de Kafka en train de rêver deviennent ensuite « rouges comme de la cire à cacheter » et sinsinuent comme un « sceau violé ».
Le monde sest emparé du voyageur onirique et, comme dans de nombreuses autres projections masochistes, persécute lécrivain.
Plus vraisemblablement, la fantaisie hypnagogique est celle de laprès-midi (30 août 1912) où lauteur, en entendant le bruit dune clef dans le trou de la serrure, a immédiatement limpression dêtre recouvert de serrures.
Dans la brève notation, le désir de décrire lévénement que limage, en soi puissamment surréelle, est plus fort. Quand je peignais, je me suis éloigné de latmosphère du rêve en recherchant ces limbes des fantasmagories hypnagogiques où il est plus facile dimaginer que de constater.
Pour un peintre, lui-même citoyen du Monde des Rêves, cela possède une saveur excitante dintrusion irrévérencieuse et dinterdit quand il tente de rendre visibles les rêves dautrui. Jai cherché à le faire avec le respect dû à celui qui a complètement parcouru le Monde des Rêves.
Traduit de litalien par Gérard-Georges Lemaire
|
mis en ligne le 07/06/2006 |
Droits de reproduction et de diffusion réservés; © visuelimage.com - bee.come créations |
|
|
|