Alors,
ce personnage mène une « vie tranquille »,
dont les occupations sont proches de celles des
héros des tableaux d’Adriaen van
Ostade, de Pieter de Hooch, ou de Jan Steen,
tels que des servantes, des cuisinières,
des boulangers, des brasseurs ; mais le personnage
du « Monde sur un plateau » vit aussi
une autre vie : il parle de l’art, il fait
des réflexions qui n’ont rien à voir
avec le travail qu’il fait. Dans cette
double vie, il ne faut pas chercher une allusion
sur l’injustice sociale et encore moins
une équivoque politique, ce n’est
que mon autoportrait, où je me déguise
et où je joue un rôle. Ici, je rends
mon hommage à Rembrandt et à Steen
qui se représentaient souvent en « se
déguisant », mais c’est surtout à Jan
Steen que je dédicace mon personnage.
Ce brasseur, aubergiste et peintre rentre dans
ses tableaux pour y vivre avec ses personnages,
on le voit tantôt en train de servir une
tarte de myrtilles aux bourgeois dans « La
fête d’été » (années
1670, Musée de l’Ermitage), tantôt
préparer un hareng en se moquant du cas
de la jeune fille tombée enceinte dans « La
visite du médecin » (1663-1665,
Philadelphia Museum of Art), tantôt jouer
avec sa femme le rôle de deux désoeuvrés
dans « Les ivrognes » (les années
1660, Musée de l’Ermitage), tantôt
se présenter en luthiste (Autoportrait,
1652-1665, Musée Thyssen-Bornenisza).
Jan Steen est un artiste dont la double vie pose
toujours la question de qui il était :
un fêtard débauché ou un
excellent psychologue qui observait la vie et
qui nous donne ses conclusions pointues pleines
d’humour et de justesse ?
Le
choix de la technique audio visuelle me semblait parfaite
pour m’approcher de la scène de genre
qui est très narrative. D’une certaine
façon, elle permet d’écouter le
monologue du personnage, d’entendre les bruits
de son environnement, ce qui est très important
dans la peinture hollandaise, qui ne se limite pas
aux moyens visuels, plastiques mais qui est capable
de représenter le son, par exemple, dans les
nombreux « Concerts » ou dans les compositions
exposant L’Ouïe faisant partie des séries
des Cinq Sens. Je pensais aussi aux tableaux de Pieter
de Hooch ou de Pieter Jansens Elinga dont les personnages
s’arrêtent dans leurs mouvements et dans
leurs actions, comme si on faisait la capture d’une
scène de film pour montrer le personnage dans
le moment, quand il ne pose pas, mais quand il est
dans l’action .
D’après les « Petits Hollandais »,
mon observation de la vie et du monde se passe non
seulement par la description, mais aussi par le langage
associatif des symboles. Dans le second volet, où je
présente le genre de la nature morte, se matérialise
le slogan de la chaîne où j’ai travaillé et
qui a donné le titre à ma vidéo « Le
Monde sur un plateau ». Cette phrase exprime
le concept des artistes du XVIIe siècle qui
placent leurs visions du monde avec leurs valeurs à travers
des objets sur une table et le concept mondialiste
du fast food, mais aussi de la consommation, du rattachement à une
marque comme à un repère spirituel du
bien et du mal qui enchaîne le monde entier.
Dans mon travail, je préférais garder
les mêmes lectures symboliques que chez les artistes
hollandais, car ils restent intemporels, ils parlent
de la religion chrétienne, de la nature, des
sens humains, de la vie et de la mort. Dans mes natures
mortes, je voulais apporter un peu de l’humour
qu’on trouve souvent dans la peinture hollandaise
de genre, j’y présente avec ironie notre
culture contemporaine de consommation. La présentation
audio visuelle passe en alternance d’une nature
morte contemporaine à une nature morte hollandaise
ancienne, et dans ce principe des parallèles
nous constatons à quel point la nature morte
d’aujourd’hui est morte, c’est-à-dire
que l’objet n’est pas naturel, il n’est
pas fait avec les mains non plus, mais il est artificiel,
fait par un robot. Les éléments traditionnels
symboliques comme les fruits, les poissons, les gibiers
sont remplacés par les produits de substitution « 100
% naturels » comme les volailles en barquettes,
en boite, emballées dans le plastique, des poissons
modifiés en surimi, des bonbons « 100%» fruits
etc.
Certaines natures mortes contemporaines sont faites
comme des reconstitutions des natures mortes anciennes,
et on imagine comment les peintres hollandais du XVIIe
siècle pourraient représenter leurs symboles
avec les objets d’aujourd’hui. Parfois
les objets symboliques restent les mêmes, mais
ils évoluent et changent leur forme, la comparaison
est faite entre les symboles des trois âges,
tels que les trois fromages (Floris van Dijk, la Nature
morte aux fromages, 1615-1620, Rijksmuseum, Amsterdam)
qui deviennent avec les siècles des paninis
aux trois fromages ; les symboles de la vanité,
les livres et les instruments de musique se voient
comme les feuilles publicitaires jetables et comme
la musique artificialisée dans un baladeur.
Dans mes natures mortes qui sont des « reconstitutions » des
tableaux anciens interprétés avec les
objets contemporains qui peuvent avoir soit la même
signification symbolique, soit la même fonction
d’usage, mais ces objets ont beaucoup changés
avec le temps. Ainsi la Nature morte avec les pipes
de Pieter Claesz (1636, Musée de l’Ermitage)
où les symboles centraux sont les éléments
naturels : l’air, le feu, la terre et l’eau
se réinterprètent par les objets contemporains
comme : les pailles en plastique et les cigarettes,
les allumettes et la bouilloire électrique,
le café en poudre et le café dans un
verre en plastique.
Le
jeu des symboles continu dans les natures mortes où la
lecture symbolique reste pareille que dans les oeuvres
anciennes, mais se sont les nouveaux objets issus des
technologies modernes, les nouveaux produits industriels
qui remplacent les traditionnels « héros » des
still leven hollandais. Tellement aimées par
les « Petits Hollandais », les huîtres
aux vertus aphrodisiaques faisant allusion aux plaisirs
charnels se transforment aujourd’hui dans les
divers produits excitants et tonifiants comme la pilule
de Viagra, le verre de Coca Cola, une cigarette et
un préservatif réunis sur une table.
Dans la tradition ancienne le pain et le vin sont
les éternels symboles eucharistiques, les carottes
ou les radis, par leur forme évoquent les clous,
les noix renvoient à la croix du Christ. Dans
la version avec les objets contemporains le pain est
déjà pré coupé, la soupe
est en boite « 100% carotte » et la boisson « sacrée » est
la Coca . Les symboles du Mal tels que les insectes
et les animaux « nocifs », mais également
les papillons, les oiseaux, les créatures symbolisants
l’âme humaine coexistant autour des fruits
dans les tableaux de van der Ast, comme une fatalité ou
comme une évidence de la conception du monde.
Dans une des compositions issues du « Monde sur
un plateau » leur destin est prescrit, car les
industriels trouvent une « solution » pour
rendre le monde « meilleur », ces pauvres
créatures « du « Bien et du Mal » seront
de toute façon éliminées « grâce » aux
insecticides placés dans cette « reconstitution » sous
toutes leurs formes actuelles : aérosol, poudre,
pastille etc.
Les anciens maîtres ont compris que les objets
symboles peuvent attribuer un sens particulier aux
compositions représentant la nature morte ou
vivante, le portrait ou les scènes de genre, à tel
point qu’un still leven va devenir un tableau
religieux, une image du monde, dont le concept est
décrit avec les objets. Avec mon petit projet
vidéo inspiré par le passé et
par le présent, nous apercevons comment les
objets en tant que produits de la civilisation humaine
prennent de plus en plus d’importance dans notre
existence physique et spirituelle, et qu’ils
deviennent nos nouvelles « icônes »,
qu’ils créent les nouvelles allégories,
qu’ils envahissent le monde qui se voit tel un
tableau rempli d’objets, où il n’y
a plus de place pour la nature vivante.