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Dossier Ivan Messac
Des objets-tableaux dun nouveau type |
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par Jean-Luc Chalumeau |
Ivan Messac peint en 1969 un tableau carré (100 x 100 cm) quil intitule Ni vu ni connu. Il sagit du visage stylisé dun homme, daprès photo, encadré par le contour dun écran de télévision. Au dessous de ce que sont censés regarder les téléspectateurs, le peintre montre ce quils ne voient pas : le corps et les mains dun prestidigitateur sortant des cartes, dont deux représentent lOncle Sam et une la Marianne symbolisant notre République
Vingt-sept ans plus tard, Pierre Bourdieu publie une analyse sans concession de la télévision (Sur la télévision, éditions Raisons dagir, 1996). Il y est notamment dit que « la violence symbolique est une violence qui sexerce avec la complicité tacite de ceux qui la subissent et aussi, souvent, de ceux qui lexercent dans la mesure où les uns et les autres sont inconscients de lexercer ou de la subir ». Certains pourraient ne pas bien comprendre? Quà cela ne tienne : le sociologue leur propose lexemple des faits divers, dont raffolent les journaux télévisés : « les faits divers, ce sont aussi des faits qui font diversion. Les prestidigitateurs ont un principe élémentaire qui consiste à attirer lattention sur autre chose que ce quils font. »
Messac, longtemps avant, avait choisi très précisément cet exemple pour nous dire que la télé, cest de la prestidigitation. Il nest dailleurs nullement exclu que Bourdieu, qui sintéressait de près à la peinture de son temps dans les années 60 (on lui doit en particulier une pertinente préface à lune des toutes premières expositions de Rancillac), ait vu le tableau de Messac. En tout cas, tout se passe comme sil lavait observé et médité.
Aujourdhui, Pierre Bourdieu nous a quittés mais ses écrits demeurent. Ivan Messac revient au thème de la télévision, et tout se passe comme sil faisait écho à ce quécrivait toujours en 1996 un Bourdieu très en verve à propos du moralisme des gens de télévision (vous savez, ceux-là mêmes qui font de laudimat avec le téléthon) : «
souvent cyniques ils tiennent des propos dun conformisme moral absolument prodigieux. Nos présentateurs de journaux télévisés, nos animateurs de débats, nos commentateurs sportifs sont devenus des petits directeurs de conscience qui se font, sans trop avoir à se forcer, les porte parole dune morale typiquement petite bourgeoise, qui disent ce quil faut penser de ce quils appellent les problèmes de société
»
Tout homme de culture a aujourdhui un compte à régler avec la télé. Quant à lui, Ivan Messac ne la regarde pas (il possède un poste, mais cest seulement pour lire des DVD), et sil ne la regarde pas, cest non seulement parce quelle fait de la prestidigitation, mais aussi parce que son conformisme petit bourgeois atteint des sommets dans le domaine de lart et de la littérature. Bourdieu encore : « les émissions dites littéraires les plus connues servent et de manière de plus en plus servile les valeurs établies, le conformisme et lacadémisme, ou les valeurs du marché.»
Comment sattaquer à la télé quand on est peintre ? Écrivain à ses heures (et écrivain merveilleusement caustique, comme en témoignent les tribulations de son chien fanioniste Igor Klepsévitch), Messac nest pas homme à discourir dans sa peinture. Il sagit pour lui de frapper vite et fort grâce à des images
efficaces, comme au temps des Indiens ou des Enfants polychromes qui comptent, on le sait, parmi les meilleures réussites des « années narratives ». En loccurrence, la trouvaille plastique de Messac, dans la série Impressions Prime Time, est dévoquer la mentalité petite bourgeoise qui constitue lessence de la télé par les tissus imprimés dont la classe moyenne décore ses intérieurs, tissus souvent inspirés par des archétypes comme Impression soleil levant de Monet.
Les tissus imprimés sont promus par le peintre au rang de fonds pour chacun des tableaux de la série (tous de 100 x 100 cm), le sujet étant un écran vu de trois quarts, avec la forme en relief dun cadre de téléviseur pour lentourer (5 cm dépaisseur, recouvert de peinture-aluminium). Ces tissus à la niaiserie souvent désopilante sont, si lon y réfléchit, bien davantage quune trouvaille plastique, de même que les images inscrites dans les écrans sont autre chose quune allusion au fait que les émissions «prime time» sont devenues une nouvelle forme de contemplation du «soleil couchant » dans lunivers culturel des gens qui regardent la télé.
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mis en ligne le 01/03/2006 |
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Dossier Ivan Messac
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