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Morteyrol,
le peintre « pop-new figuration »
Un jeu de piste(s)
par Robert Bonaccorsi

Si, comme l’écrivait Jean-Louis Pradel en 1975 à propos de Morteyrol, « une première exposition personnelle est un aveu », comment qualifier aujourd’hui la présentation d’une centaine d’oeuvres à la Villa Tamaris ? Rétrospective ? Le terme ne correspond pas au foisonnement créatif qui caractérise le travail de Morteyrol. Abondance qui implique des choix, d’autant qu’à compter du début des années 80, il devient, parallèlement à son travail de peintre, sculpteur.

Morteyrol a compris très tôt qu’on ne pouvait désormais décrypter le réel qu’au travers de l’analyse critique des images qui nous submergent et nous envahissent au point de s’apparenter à la réalité. Dans ce jeu de miroirs où se télescopent les stéréotypes, les icônes publicitaires, scientifiques, religieuses et technologiques, il intervient pour mettre ces re-productions en procès. Il utilise la narration en séquences, questionne la bande dessinée, l’histoire même du genre, son rapport avec l’art : « la peinture des années 60-75 est très liée au graphisme des créateurs des petits Mickey. La couleur elle-même est traitée en aplats comme dans la B.D. du moment, avec la même violence », réflexion qui se fonde sur son expérience au coeur même de l’un des premiers empires de la culture médiatique, en tant que chef du Studio Disney France (Société Edi-monde) de 1962 à 1980.

Morteyrol s’inscrit donc pleinement dans le vaste mouvement des années 1960-1970, autour, bien évidemment de la Figuration narrative, mais également du Salon de la Jeune Peinture dont il sera membre du comité de 1970 à 1975 et Président en 1974-1975. Dans cette période féconde de débats, d’initiatives, de réflexions, de confrontations esthétiques, politiques et idéologiques, il côtoie Fromanger, Ernest Pignon- Ernest, Guyomard, Babou, expose avec Cueco, Fleury, Latil, Parmentier et Tisserand (La Coopérative des Malassis), Mikaeloff, Mathelin, Benoît, Alleaume, Zeimert (Monumensonges, 1970), et réalise avec Naccache, Birga, Messac (le groupe des quatre) une oeuvre collective en 1976.

Dénonciateur inlassable de la réification de notre société, volontiers iconoclaste, Morteyrol soumet en permanence son travail au « questionnaire décisif » (pour reprendre la formule de Bernard Rancillac) : Comment peindre ? Quoi peindre ? Pour qui peindre ? « Pour moi, l’oeuvre doit cesser d’être seulement un objet à regarder pour devenir un objet à penser. Ainsi, je propose le résultat de mes expériences, pratiquées avec le pessimisme de l’intelligence, l’optimisme de la volonté. Et pour cela, je mets le regardeur dans un état d’instabilité, d’interrogation, et finalement, de recherche ». Pour autant, il ne s’astreint pas à une continuité stérilisante, car il progresse le plus souvent par digressions successives. « Le chemin de mon oeuvre est jalonné de brusques changements de direction qui paraissent renier les choix précédents. Pourtant, ce qui peut être considéré dans mon travail comme une suite de déviations illogiques, est l’essence même de mon fonctionnement : aucune règle systématique, pour un parcours qui rejette théorie, ordre, mode ou adhésion ».

Ces images discursives (titre de son exposition à la Galerie Passerelle Saint-Louis en 1977) s’incarnent volontiers dans des cycles, séries, Réflexion (1973-1974), Portraits-Autoportraits (1977), A la recherche de Dante (1980), Totems et Trophées (1987), Même je me souviens de… (2000), Série noire (2001), Jazz (2002)… « Chaque période d’élaboration est constituée d’un ensemble d’oeuvres qui paraissent répétitives par leur nombre et par leur thème commun. Elles forment, avec constance, des séries, exécutées jusqu’à saturation. Dans l’ordre chronologique de leur fabrication, il est régulier de constater sur la durée qu’elles passent du grave au léger, comme si cette alternance m’était nécessaire à la réflexion ou à la récupération physique, avant d’attaquer toujours plus de complexité. Mais, en aucun cas, ces séries ne sont appréhendées de façon semblable. Chaque sujet abordé me demande de choisir la forme la plus adaptée au discours. Et de ce fait, même si, pour une orientation de lecture ou d’analyse de l’image, j’utilise des signes semblables, je ne cherche pas consciemment à créer un style. Ce qui reviendrait à, sans cesse, adopter une même forme pour des thèmes différents ».

Diversité des thèmes, de l’approche, mais constance dans la volonté de se confronter à l’histoire, au réel, aux mythes fondateurs et aux mythologies urbaines contemporaines. Dans le cadre de la préparation du Salon de la Jeune Peinture en 1974, Morteyrol proposait d’établir une distinction entre « les oeuvres de courte durée » marquées par « leur structure et leur forme (de) la fonction pressante et provisoire qu’elles ont à remplir », et les «oeuvres destinées à produire un effet durable (devant) être beaucoup plus complexe et embrasser des éléments contradictoires auxquels elles se devront de survivre ». Plus qu’une suggestion, un programme qui ne pouvait alors qu’être contesté. De fait, au delà des polémiques circonstancielles, il faut y voir la formalisation d’un projet artistique auquel Morteyrol est resté fidèle et qui, dans l’acte créatif même, rassemble la quête des formes et le questionnement du sens, « la cohérence dans l’incohérence », le sérieux et la farce, le mélange des genres. Ni une rétrospective, ni un parcours, mais un itinéraire ludique et savant, « avec l’histoire et contre l’histoire de l’art ». En quelque sorte un jeu de piste(s).

Robert Bonaccorsi
mis en ligne le 06/09/2008
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