Si, comme l’écrivait
Jean-Louis Pradel en 1975 à propos de Morteyrol, « une
première exposition personnelle est un aveu »,
comment qualifier aujourd’hui la présentation
d’une centaine d’oeuvres à la
Villa Tamaris ? Rétrospective ? Le terme
ne correspond pas au foisonnement créatif
qui caractérise le travail de Morteyrol.
Abondance qui implique des choix, d’autant
qu’à compter du début des années
80, il devient, parallèlement à son
travail de peintre, sculpteur.
Morteyrol a compris très tôt qu’on
ne pouvait désormais décrypter le réel
qu’au travers de l’analyse critique des images
qui nous submergent et nous envahissent au point de s’apparenter à la
réalité. Dans ce jeu de miroirs où se
télescopent les stéréotypes, les icônes
publicitaires, scientifiques, religieuses et technologiques,
il intervient pour mettre ces re-productions en procès.
Il utilise la narration en séquences, questionne
la bande dessinée, l’histoire même du
genre, son rapport avec l’art : « la peinture
des années 60-75 est très liée au
graphisme des créateurs des petits Mickey. La couleur
elle-même est traitée en aplats comme dans
la B.D. du moment, avec la même violence »,
réflexion qui se fonde sur son expérience
au coeur même de l’un des premiers empires
de la culture médiatique, en tant que chef du Studio
Disney France (Société Edi-monde) de 1962 à 1980.
Morteyrol s’inscrit donc pleinement dans le vaste
mouvement des années 1960-1970, autour, bien évidemment
de la Figuration narrative, mais également du Salon
de la Jeune Peinture dont il sera membre du comité de
1970 à 1975 et Président en 1974-1975. Dans
cette période féconde de débats, d’initiatives,
de réflexions, de confrontations esthétiques,
politiques et idéologiques, il côtoie Fromanger,
Ernest Pignon- Ernest, Guyomard, Babou, expose avec Cueco,
Fleury, Latil, Parmentier et Tisserand (La Coopérative
des Malassis), Mikaeloff, Mathelin, Benoît, Alleaume,
Zeimert (Monumensonges, 1970), et réalise avec Naccache,
Birga, Messac (le groupe des quatre) une oeuvre collective
en 1976.
Dénonciateur inlassable de la réification
de notre société, volontiers iconoclaste,
Morteyrol soumet en permanence son travail au « questionnaire
décisif » (pour reprendre la formule de Bernard
Rancillac) : Comment peindre ? Quoi peindre ? Pour qui
peindre ? « Pour moi, l’oeuvre doit cesser
d’être seulement un objet à regarder
pour devenir un objet à penser. Ainsi, je propose
le résultat de mes expériences, pratiquées
avec le pessimisme de l’intelligence, l’optimisme
de la volonté. Et pour cela, je mets le regardeur
dans un état d’instabilité, d’interrogation,
et finalement, de recherche ». Pour autant, il ne
s’astreint pas à une continuité stérilisante,
car il progresse le plus souvent par digressions successives. « Le
chemin de mon oeuvre est jalonné de brusques changements
de direction qui paraissent renier les choix précédents.
Pourtant, ce qui peut être considéré dans
mon travail comme une suite de déviations illogiques,
est l’essence même de mon fonctionnement :
aucune règle systématique, pour un parcours
qui rejette théorie, ordre, mode ou adhésion ».
Ces images discursives (titre de son exposition à la
Galerie Passerelle Saint-Louis en 1977) s’incarnent
volontiers dans des cycles, séries, Réflexion
(1973-1974), Portraits-Autoportraits (1977), A la recherche
de Dante (1980), Totems et Trophées (1987), Même
je me souviens de… (2000), Série noire (2001),
Jazz (2002)… « Chaque période d’élaboration
est constituée d’un ensemble d’oeuvres
qui paraissent répétitives par leur nombre
et par leur thème commun. Elles forment, avec constance,
des séries, exécutées jusqu’à saturation.
Dans l’ordre chronologique de leur fabrication, il
est régulier de constater sur la durée qu’elles
passent du grave au léger, comme si cette alternance
m’était nécessaire à la réflexion
ou à la récupération physique, avant
d’attaquer toujours plus de complexité. Mais,
en aucun cas, ces séries ne sont appréhendées
de façon semblable. Chaque sujet abordé me
demande de choisir la forme la plus adaptée au discours.
Et de ce fait, même si, pour une orientation de lecture
ou d’analyse de l’image, j’utilise des
signes semblables, je ne cherche pas consciemment à créer
un style. Ce qui reviendrait à, sans cesse, adopter
une même forme pour des thèmes différents ».
Diversité des thèmes, de l’approche,
mais constance dans la volonté de se confronter à l’histoire,
au réel, aux mythes fondateurs et aux mythologies
urbaines contemporaines. Dans le cadre de la préparation
du Salon de la Jeune Peinture en 1974, Morteyrol proposait
d’établir une distinction entre « les
oeuvres de courte durée » marquées
par « leur structure et leur forme (de) la fonction
pressante et provisoire qu’elles ont à remplir »,
et les «oeuvres destinées à produire
un effet durable (devant) être beaucoup plus complexe
et embrasser des éléments contradictoires
auxquels elles se devront de survivre ». Plus qu’une
suggestion, un programme qui ne pouvait alors qu’être
contesté. De fait, au delà des polémiques
circonstancielles, il faut y voir la formalisation d’un
projet artistique auquel Morteyrol est resté fidèle
et qui, dans l’acte créatif même, rassemble
la quête des formes et le questionnement du sens, « la
cohérence dans l’incohérence »,
le sérieux et la farce, le mélange des genres.
Ni une rétrospective, ni un parcours, mais un itinéraire
ludique et savant, « avec l’histoire et contre
l’histoire de l’art ». En quelque sorte
un jeu de piste(s). |