TROISIÈME PARTIE:
LULTIME READY-MADE
Voilà pourquoi, tenant compte de tout cela, je me donne, moi-même, seul et anonyme récusant ainsi le pouvoir de linstitution à le faire, la Grâce dêtre Artiste, le rôle dincarner lArtiste. Ce geste artistique je le nomme lUltime Ready-made. Il prend acte du divorce entre la créativité et la négativité (lénigme ontologique de lêtre-au-monde). Il est une alternative au modèle de lArtiste Moderne Accompli car il préserve grâce à lanonymat la figure de lArtiste des convoitises de la Raison Utilitaire. En effet, cest seulement dans le coeur du dilettante que les valeurs chères à lArtiste peuvent agir encore, que la « conduite esthétique » théorisée par J.M. Schaeffer prend toute sa vertu. Cest aux gens, qui refuseront de se comporter comme des matériaux supra conducteurs au flux médiatique, dintérioriser la figure de lArtiste et son intemporel « égocentrisme » libre, inutile et gratuit pour se construire un espace intérieur (en refusant lobligation citoyenne de se tenir informé, par exemple ; lire quotidiennement une chronique dAlexandre Vialatte plutôt que le journal ?) ;ils deviendront ainsi de potentiels interrupteurs au «système de stress synchrone » qui façonne le corps social (au jeu de go, il faut « deux yeux », deux espaces vides intérieurs insécables pour constituer un territoire viable, même entouré de toute part).
Que je sois un fou mégalomane ou un artiste la différence est « infra mince ». « cest le regardeur qui fait le tableau ». Et bien cest vous qui ferez de lUltime Ready-made une oeuvre ou non, en débattant de sa pertinence, en la faisant circuler sur Internet ,en vous lappropriant comme une représentation artistique rendant intelligible la période charnière que nous vivons .Ainsi une partie du corps social peut reprendre, symboliquement et publiquement, le pouvoir quelle avait délégué à linstitution informelle du monde de lart .
« Ce qui nous attend, cest une ère de la construction de machines et de lexpérience approfondie de lêtre humain par lui même, face à sa faculté croissante de se refléter dans les machines supérieures et de réfléchir à la différence entre soi-même et ses créatures qui sont les siennes ». Peter Sloterdijk
La catégorie socioprofessionnelle quest devenue le « monde merveilleux de lart » , en tant que cadre implicitement basé sur le déni de la nature conflictuelle du rapport entre lutilitarisme et lArt, ne permet en aucun cas lexploration critique féconde, par les artistes, des nouvelles technologies, qui aurait pu nous aider à nous défendre contre les inévitables effets pervers qu elles engendrent déjà. Sur ce thème, lUltime Ready-made est lanti-Matrix. A loeuvre hollywoodienne, très belle (le générique est un chef doeuvre du genre), issue dune haute technologie et sadressant à un public passif, correspond loeuvre constituée du geste ridicule, simple et gratuit, dun individu isolé demandant la participation active dautres individus pour exister.
Il mapparaît ici, à la fin du parcours qua été la rédaction de ce texte - parcours qui a débuté avec lintuition et la création de lArtiste Moderne Accompli, qui sest poursuivi par lexploration de sa logique qui elle, ma mené à lUltime Ready-made - que celui-ci est bien ce quil voulait être : un prolongement du Ready-made. Duchamp, en créant une oeuvre à partir dun objet insignifiant, montrait que la qualité doeuvre dart était indépendante des qualités propres à lobjet ; lUltime ready-made veut lui, en accordant la grâce dêtre Artiste à un individu anonyme, montrer que la figure de lArtiste est indépendante des qualités de la personne qui lincarne, quelle ne vaut que par son existence même, par la place que, de fait, elle occupe par rapport à lorganisation du monde en lequel elle intervient. Ne tenir aucun compte du talent de lartiste est certes un artifice abstrait mais qui montre bien que désormais, à lheure des arts awards, la condition nécessaire et suffisante pour incarner la figure de lArtiste est den intérioriser la place et le rôle (ce qui nempêche ni le talent ni la créativité). Il est aussi un écho au « Grand Verre ». Ce qui est une heureuse surprise, pour moi qui ne suis pas spécialement un Duchampien comme on dit un Célinien de certains écrivants qui ont trouvé une niche écologique dans loeuvre de LF Céline. Je redécouvre en passant dencourageantes et rassurantes résonances (le caractère démesurément onaniste de lauto-proclamation et la « Broyeuse de chocolat » en tout premier lieu). Citons Marcel Proust « même dans les joies artistiques,
le petit sillon que la vue dune aubépine ou dune église a creusé en nous, nous trouvons trop difficile de tâcher de lapercevoir. Mais nous rejouons la symphonie, nous retournons voir léglise jusquà ce que dans cette fuite loin de notre propre vie que nous navons pas le courage de regarder, et qui sappelle lérudition nous les connaissions aussi bien, de la même manière, que le plus savant amateur de musique ou darchéologie. Aussi, combien sen tiennent là qui nextraient rien de leurs impressions, vieillissent inutiles et insatisfaits comme des célibataires de lArt ».
Ce que, à la suite de Hannah Arendt, je nomme le Philistin, Proust le nomme célibataire, Duchamp aussi probablement. Le sujet de « la Mariée mise à nu par ses célibataires, même » est ce rapport conflictuel du Philistin et de lartiste comme moteur du processus créatif chez chaque artiste, et comme machine infernale qui en un siècle a dépouillé lArtiste de tous ses attributs jusquà en faire apparaître lessentielle nudité.
Il faut voir dans le « Grand Verre » le schéma prototype mais non exclusif de toutes les oeuvres du XX ème siècle, à savoir la tentative dexpression du système de tension, intime et social, que subit chaque artiste pour incarner lArtiste. Une sorte de tragique autoportrait.
« Ne comprenez-vous pas que le danger essentiel est daboutir à une forme de GOÛT, serait ce même le goût de la broyeuse de chocolat »
« LArtiste joue dans la société moderne un rôle beaucoup plus important que celui dun artisan ou dun bouffon ».
« Aujourdhui (vers 1920) lArtiste est un curieux réservoir de valeurs para-spirituelles en opposition absolue avec le FONCTIONALISME quotidien
».
« Je dûs prendre de graves décisions. La plus dure fut de me dire « Marcel, plus de peinture, cherche du travail » et je me mis à la recherche dun emploi afin dêtre à même de peindre pour moi. (
) Je ne voulais pas dépendre de ma peinture pour subsister ».
Marcel DUCHAMP
Rendons au Philistin ce qui appartient au Philistin : le divertissement de lesprit, et au dilettante ce qui appartenait à lArtiste : la négativité, la Liberté, lAuthenticité, lInutilité, la Gratuité.
«
la situation de la culture européenne peut se lire, entre autres, dans la manière dont on réemploie lAntiquité
La forme antique dont on a attendu le plus longtemps la répétition a été larène, le nouveau stade de sport, le cirque de la compétition
Cest le lieu de culte du fatalisme, redevenu une religion de masses
Les grands stades sont sa forme architecturale, cest à partir de celle-ci que lon peut penser, de la manière la plus concluante, la nouvelle civilisation de masse
La société totalement médiatisée constitue un unique grand stade
»
Peter SLOTERDIJK
En un siècle, lArt sétant figé en un pharisaïsme, on a pu voir apparaître clairement puis disparaître la figure de lArtiste. LUltime ready-made, au diable la modération, voudrait permettre par analogie de sen nourrir, den cultiver intimement lesprit rebelle !
Aux catacombes, citoyens !!!!!
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