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Dossier Denis Rivière
La maîtrise de loeil, de la main et du désir |
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J.-L. C. : Tu nas rien à envier à Alphonse Allais !
D. R. : En tout cas jai toujours cru quune certaine dose dhumour ne fait pas de mal à la peinture. En témoignent des tableaux très récents comme celui-ci.
J.-L. C. : Nous voyons maintenant en surplomb trois poules à côté dun téléphone rouge. Vaste fond très travaillé, dominantes rouges et vertes.
D. R. : Le titre est très important, il est signifiant : « Le Bain Turc par Ingres, copie ». De même, ces six limaces autour dune salade ne peuvent être intitulées autrement que : « Le Déjeuner sur lHerbe par Édouard Manet, copie». Voilà
Jaime la peinture-peinture, très travaillée, dans le genre de celle de Courbet et je suis sensible à limportance des idées.
J.-L. C. : Ton amour de la peinture-peinture ta condamné à un certain isolement.
D. R. : Il ne faut pas parler au passé, ça continue ! Je sais bien que lon parle depuis quelque temps dun nouvel intérêt pour la peinture en général, mais crois bien que cela ne concerne pas ma peinture en particulier !
J.-L. C. : Tu viens de me montrer deux pseudo-copies dIngres et Manet. Est-ce pour indiquer une relation particulière à ces deux peintres ?
D. R. : Je ne suis évidemment en rien lépigone ni de lun ni de lautre. Faire ce genre de tableau est pour moi une manière de continuer à aimer passionnément la peinture en imaginant avec une certaine dérision des oeuvres de maîtres du passé inscrites dans notre époque. Ce type de recherche plastique peut paraître loin de ce que lon appelle lart contemporain, mais cela fait quarante ans que je peins de cette manière, et je nai pas lintention den changer. Je crois que la peinture, art visuel, doit être rattachée au monde visible. Ce qui mintéresse est de proposer un monde apparemment visuel. Le monde de la réalité objective se trouve en décalage avec ma réalité subjective, comme je lai dit au début.
J.-L. C. : Cela laisse-t-il entendre quun peintre seulement attaché à traduire la réalité objective, Cézanne par exemple, tintéresse peu ?
D. R. : Cest le moins que lon puisse dire ! Je suis un anti-cézannien. Cézanne était peintre, certes, mais sa façon de transcrire son univers plastique nest pas ma tasse de thé. À partir du moment où lon veut représenter le monde visible, il me semble quil y a des obligations à respecter vis-à-vis de lui pour mieux pénétrer ensuite le monde invisible. Quand Cézanne fait des Montagnes Sainte Victoire à la limite de labstraction, tout va bien, mais quand il aborde des choses parfaitement identifiées visuellement, il ne sait pas ou ne veut pas faire et il se plante.
Quand on compare devant moi Les Grandes Baigneuses avec Un Dimanche à la Grande Jatte, je suis scandalisé, car Seurat manifeste une parfaite maîtrise technique, un contrôle de la forme et de la couleur sans la moindre faille, ce qui lautorise à aller jusquau bout de son désir. Ce ne semble pas être la problématique de Cézanne, et cela se voit cruellement.
Bonnard nétait pas non plus un maître de la forme, mais il parvenait à conférer une admirable harmonie à son tableau par la couleur : ce nest pas du tout le cas des Grandes Baigneuses ! Cézanne est incontesté, mais selon moi pas du tout incontestable.
J.-L. C. : Nous avons évoqué quelques noms, mais aucun deux nest, vivant ou mort, ton frère en peinture : serait-ce quil ny en a pas ?
D. R. : On peut dire cela. Je ne vois que quelques cousinages avec les vivants et avec certains romantiques comme David-Friedrich pour les morts. Mais, sans être cousin de Bonnard, jadmire chez lui la peinture à létat pur. Dune manière générale, jaime les peintres qui nous font entrer dans la mer de la peinture.
J.-L. C. : Cette expression « mer» appliquée à la peinture signifierait-elle une prédilection pour les grands formats ? Je noublie pas que tu as réalisé des plafonds.
D. R. : Le temps des plafonds est fini pour moi. Jen ai fait deux ou trois pour gagner ma vie : la difficulté est que, dans cet exercice, on se rapproche de la décoration, donc on séloigne de la peinture. Je devais faire un ciel clair pour le plafond de la salle à manger privée du palais de lÉlysée : on voit mal le président Mitterrand déjeunant sous de lourds et tumultueux nuages dorage comme jaime les faire !
Toutes proportions gardées, naturellement, ce fut la même chose pour Goya : on sennuie un peu en regardant ses plafonds, et quand on contemple ses toiles on reste confondu par limpertinence, la maîtrise et la puissance de celles-ci. En revanche, jai fait de grandes toiles, deux mètres par six, sur le thème de la mer, qui ont été de véritables expériences dimmersion, exténuantes dailleurs au moment de lexécution. Il y avait un rapport physique à la peinture intéressant, mais le très grand format nest pas un mode dexpression dont jaurai pu faire mon métier.
J.-L. C. : Tu nas pas non plus enseigné la peinture.
D. R. : Pendant trois ans, jai animé entre autre un atelier de peinture dans une université américaine. Cétait objectivement passionnant, mais je nai pas la fibre professorale ! Je navais quune hâte, cétait de retrouver la solitude de mon atelier. Jai failli avoir loccasion dêtre patron dun atelier aux Beaux-Arts de Paris mais ça ne sest pas fait : lartiste qui a eu le poste avait une expérience de lenseignement que je nai pas, cest donc fort bien ainsi. Le fait de ne pas être enseignant a été heureux pour moi, car jai été totalement libre de mon temps, et jai pu beaucoup voyager. Par exemple, jai pu réaliser une commande de la Société des Wagons-Lits : peindre les ciels de six endroits du monde, Hong-Kong, Sao-Paulo, Londres, Paris, New York, Sydney. Jai passé plusieurs mois à aller observer les ciels sur le motif: cétait passionnant.
J.-L. C. : Le thème du ciel aura décidément été très important dans ta carrière. Sil ne devait rester quune chose dans ton oeuvre, ce seraient les ciels ?
D. R. : Je pense que oui.
J.-L. C. : Quel conseil donnerais-tu à un jeune peintre débutant aujourdhui?
D. R. : Je lui dirais que le plus important, pour un peintre, cest la maîtrise de loeil, de la main et du désir. Je lui dirais aussi de se méfier des sirènes de la mode.
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Denis Rivière et Jean-Luc Chalumeau |
mis en ligne le 05/06/2006 |
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