Le premier module du colloque fut centré sur la rencontre entre lArt, le Sacré et la Foi. Il comporta notamment la lecture dun très beau texte du philosophe Georges Sebbag, lu en son absence par Bénédicte Mathey, assistante à la conservation du musée et de la chapelle royale de Brou (Bourg-en-Bresse), sur les liens entre Art sacré et modernité, soulignant notamment le rôle des poètes modernes, en particulier les surréalistes et le mouvement Dada, familiers de Sebbag, dans ce mariage sopposant à la révolution scientiste. Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, théologien et fondateur de lInstitut des Arts sacrés, qui examine notamment la pénétration de la théologie dans lart, présenta, dans un éblouissant exposé en forme de triple trinité, une explication des mécanismes de la rencontre entre Foi et création. Il le fit en partant des schémas induits par loeuvre de Le Corbusier à Ronchamp et en particulier trois événements mineurs mais significatifs survenus sur le chantier. Cette introduction lui permit de développer une réflexion magistrale sur les trois aspects de la création. Dabord en soi : la chose créée (loeuvre dart), lacte de création et le créateur. Ensuite en prenant appui et en offrant des illustrations à partir des propos de Le Corbusier, sa fameuse « disponibilité », et ses travaux de Ronchamp, lorateur reprit les trois mêmes points sous la lumière de la Foi religieuse. Sa conclusion fut que la Foi chrétienne invite à comprendre combien toute création est faite pour avoir une signification et à condition dêtre étayée par un projet vers la vérité, vers le bien (léthique et la valeur) et le beau (lArt), le créateur étant animé par la Grâce, car le créateur terrestre ne crée pas son oeuvre tout seul. Au total, la rencontre de lacte créateur et de la Foi permet dinscrire toute création dans une plénitude et tout créateur comme en totale disponibilité à une Grâce (voir la réponse de Le Corbusier au journaliste américain).
Le second module précéda une visite de Notre-Dame du Haut accompagnée de la lecture de textes de Le Corbusier concernant la Chapelle et sa création. Il permit dabord une très riche présentation à la fois de lhistorique de la commande et de la construction de Notre-Dame du Haut, ainsi que du renouveau de lart sacré après guerre (points déjà évoqués), avec limpact de Ronchamp dans son exemplarité esthétique et morale pour la création contemporaine en art sacré à travers le monde.
Lapproche fut complétée par deux solides exposés très fournis et illustrés de Inge Linder-Gaillard (docteur en histoire de lArt) et Jean-Pierre Greff qui dirige lÉcole nationale des Beaux-Arts de Genève.
Le troisième module, centré sur Le Corbusier et lArt sacré, permit dentendre la lecture, faite par Dominique Claudius-Petit, dun texte très informé de larchitecte et professeur italien Giuliano Gresleri - malheureusement absent à cause dun deuil - sur le programme liturgique et dart sacré de Le Corbusier. Gresleri sintéressa très tôt à Le Corbusier, analysa dans des publications ses passionnants carnets de voyages et organisa plus de cinquante expositions sur lui. Il collabora de 1968 à 1977 avec José Oubrerie pour reconstruire avec lui le Pavillon de lEsprit Nouveau à Bologne. On entendit ensuite Danièle Pauly, historienne de lart et professeur darchitecture à Strasbourg et Nancy, dont la thèse Ronchamp, lecture dune architecture, fut louvrage fondateur sur la question. Elle rappela la phrase de Le Corbusier selon qui Larchitecte doit penser en constructeur, en plasticien et en peintre, pour faire surgir dune construction des présences suggestives démotion. Jean-François Mathey assura ensuite la lecture de témoignages de son père François, comme lui de Ronchamp, membre de la commission dart sacré, qui fut un de ceux à choisir Le Corbusier, sattirant quelques foudres, et qui devintConservateur du musée des Arts décoratifs de Paris. Un père qui lui avait personnellement écrit, à propos du sanctuaire de Ronchamp dédié à la Vierge Marie, que La beauté, pour être parfaite, doit être à la fois spirituelle et incarnée
En labsence de José Oubrerie, surchargé par son chantier, Dominique Claudius-Petit fit ensuite un compte-rendu précis de létat davancement de léglise Saint-Pierre de Firminy.
Le quatrième et dernier module du colloque fut consacré à la postérité de Ronchamp, dabord en musique contemporaine, avec Gilbert Amy qui évoqua sa création dun programme adapté à Ronchamp et dont une partie fut présentée en soirée pour la clôture du colloque, ensuite en architecture avec un étincelant témoignage et un hommage à Le Corbusier par lingénieur et architecte Jean-Marie Duthilleul, directeur de larchitecture de la SNCF et constructeur des grandes gares lumineuses des TGV, qui évoqua avec force et talent les rapports entre larchitecture, la lumière et le sacré. Enfin, dans le domaine des arts plastiques, le peintre et architecte intérieur Christophe Cuzin fit sensation par lhumour et la qualité de ses remarquables créations de surfaces peintes et daménagement de décors, vitraux et mobiliers pour Notre-Dame de Lognes, près de Marne-La-Vallée, dont il a ainsi assuré un aggiornamento brillant et capable davenir. Une table-ronde finale permit de nombreux échanges, réflexions et témoignages sur les thèmes du colloque, relativisant des points qui avaient pu susciter des critiques parfois sévères.
Ultra contemporaine en 1955, Notre-Dame du Haut de Ronchamp a triomphé du temps en parvenant à conquérir un statut esthétique, créatif et spirituel qui sinscrit désormais dans une perspective déternité. Ce « haut-lieu » comme disait Le Corbusier, est sans conteste un des plus beaux exemples des ambitions de lart sacré contemporain tel que lont rêvé les pères Ledeur et Couturier, et quanimèrent le chapelain Bolle-Redat à qui a succédé aujourdhui Louis Mauvais. À ce titre, ce colloque sur lart sacré contemporain fut riche dexaltation pour tous ses participants. Le Corbusier, à Ronchamp, a simultanément relevé un défi et gagné un pari spirituel. On sent sur place combien ce combat, avant, pendant et après les deux années du chantier, était à la fois personnel et spirituel. Il suffit douvrir les yeux. À mon avis, la réussite est encore plus nette que dans toutes ses autres créations architecturales, en art sacré et ailleurs. La passion et la rigueur esthétiques, dinspiration proprement mystique, qui donne sa personnalité à cette chapelle mériteraient quelle demeure en éternité, comme la lumière et le silence, à quoi Le Corbusier a toujours intimement associé larchitecture de ce sanctuaire et son inspiration. Nest-ce pas le destin du meilleur de lart contemporain, si cest après-tout exact, comme la récemment rappelé lenseigne en néon de lartiste italien Maurizio Nannucci, dans un ouvrage collectif publié sous la direction de Daniel Soutif (2) ? Cette enseigne proclame en effet que Tout art a été contemporain, et jajouterai, avant de devenir éternel sur notre terre des hommes, mais pas toujours.
Le sanctuaire de Ronchamp de Le Corbusier semble être un de ces cas et lArt sacré, comme la enseigné le colloque de Ronchamp, peut continuer longtemps à en tirer des leçons.
(2) LArt du XX ème siècle, de lart moderne à lart contemporain 1939-2002, Collectif sous la direction de Daniel Soutif, Citadelles & Mazenod, 632 pages, 2005, présenté par Harry Bellet dans Le Monde du 9 décembre 2005. |