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Prenez la lune |
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par Aude Tincelin & Patrice Blouin |
Quel point commun entre Aude Tincelin, qui "remet en scene le spectacle de la consommation", Etienne Begouen, qui tente de a reproduire l'image mentale d'un lieu" et Esther Segal qui enquete sur sa propre identite a travers ses recherches sur le "point-lumiere" ? Et quel point commun entre ces trois jeunes plasticiens reperes a "Jeune Creation" et Alix Delmas qui, apres quinze ans d'evolution de son travail, mele intimement aujourd'hui dessins, installations et photographies ? Rien, vraiment, sauf ceci qui nous parait essentiel et qui caracterise toute une generation : tous utilisent la photographie sans se dire pour autant photographes, ni peintres d'ailleurs : des artistes dont les propositions retiennent l'attention et a qui il nous a paru bon de donner la parole. Verso.
Trois questions de Patrice Blouin, redacteur aux Cahiers du Cinema a Aude Tincelin.
P.B. Ce que tu photographies est deJa photographie ou mis en scene par des publicitaires. Comment geres-tu ce rapport ?Comment dejouer la seduction directe suscitee par cet univers marchand ?
A.T. Je suis fascinee par le fonctionnement de ces images ecrans qui peuplent notre imaginaire: images markettees, issues du monde de la consommation, qui informent notre vision du monde et de nous-memes
Mon travail consiste a reperer ce type d'images dans leurs manifestations les plus evidentes (ecrans publicitaires geants, vitrines de grands magasins) et, par la photographie, a reintroduire une distance minimale qui permette de les voir en tant qu'ecrans et non en tant que representations Cette distance, je la reintroduis par des micro-deplacements, en enlevant les marques publicitaires ou en faisant sortir les mannequins de leurs vitrines Il s'agit d'une forme de mise au silence. Enlever tout bruit de ces images et mises en scenes permet l'emergence d'un regard critique (sans pretendre chercher une soi disant authenticite derriere ces mises en scene)
P.B. La pub, comme la vitrine de magasin, est une forme de spectacle gratuit. Lorsque tu distribues gratuitement tes images sous forme de magazines, est-ce pour insister sur cette dimension ?
A.T. La publicite est du spectacle, parfois du beau spectacle, mais dans lequel le spectateur se trouve pris a partie au point de ne plus avoir aucune possibilite de mise en regard et donc de mise a distance En cela, elle n'est pas gratuite. Une publicite peut etre belle, une vitrine magnifiquement agencee : jamais elles ne seront gratuites.
Le format et le nombre (A4, 16 pages, 800/ 2000 exemplaires) de mes magazines sont ridicules par rapport aux moyens publicitaires meme les plus modestes. Leur silence (ni titre ni commentaire) permet juste de remettre en scene le spectacle de la consommation. Pour moi, la gratuite va plutot a l'encontre du spectacle (j'ai eu des reactions de personnes sincerement perplexes : "Pour qui donnez-vous cela ?" , "Mais ce ne sont que des photos l7", etc.). C'est une proposition fondamentalement aberrante (notamment parce qu'elle me coute extremement cher 1), mais c'est ce qui donne de l'interet a ma demarche. La pub n'est ni idiote ni gratuite. Mon magazine est gratuit et un peu idiot.
P.B. Dans tes images, il n'y a ni contrepoint ni resistance a l'occupation de la ville par la surhumanite glacee des mannequins. Pourtant, dans ton geste final de don, tu fais appel a ceux-la memes que tu as effaces de tes photos. Comment expliques-tu cette disjonction ?
A.T. Ce qui me fascine n'est pas le surhumain en tant que tel (visages purifies, corps lisses, sourires scintillants) mais la facon dont le monde de la consommation tend a nous faire desirer des corps, fondamentalement epures, et donc essentiellement mortiferes. Et ce, avec des moyens demesures en comparaison de ce qu'un artiste peut proposer. Mon travail joue a la fois de cette fascination et de cette deception.
Nous desirons des images de nous-memes totalement inadequates. D'ou mon incapacite actuelle a travailler directement avec des modeles, a photographier "l'humain" autrement que comme figure. Je ne crois pas qu'on puisse aujourd'hui pretendre a une representation des corps et des visages sans en passer par une reflexion sur les modes de representation dans lesquels nos regards et nos corps sont pris. Photographier les mannequins ne signifie pas, pour moi, faire disparaitre l'humain, bien au contraire.
La gratuite de mon magazine n'est ni une demarche publicitaire (on me parle souvent de "book", or il ne s'agit pas du tout de cela), ni un geste qui compenserait la brutalite du propos. Je prefere parler de "gratuite" plutot que de "don", terme qui suppose un geste que je ne fais pas. Les magazines sont deposes dans les galeries et musees. Je ne suis pas la pour incarner le geste aupres des visiteurs. Je ne le donne pas, il est gratuit. En cela il s'agit moins d'un geste formel, calque sur le modele du don, que d'une demarche qui ne se veut ni genereuse ni accusatrice, mais avant tout critique. |
Aude Tincelin & Patrice Blouin |
mis en ligne le 30/05/2003 |
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Ils ne se disent pas peintres, ils ne se disent pas photographes
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