|
Myriam
Dao
Pour revenir à l’objet lui-même – le container –, ce qui saisit
lorsqu’on découvre l’installation de Huang Yong Ping, c’est la
masse de métal coloré, le mur de plus de 28 mètres dressé devant
l’entrée. D’un point de vue formel, l’artiste a joué à la fois
de la répétition et de l’accumulation d’objets. Ensuite, lorsque
l’on parcourt les allées sous la verrière du Grand Palais, c’est
l’alignement « au cordeau » qui impressionne. Le paysage de huit
« collines » inventé par l’artiste ne s’est pas construit
sur la règle du chaos – un amas d’objets les uns sur les autres
–, mais respecte au contraire un ordonnancement
bien calé et « haubané », sans doute inspiré des principes d’arrimage
du Cargo Securing Manual - règles en vigueur sur les porte-containers.
Régine
Cuzin
L’installation réussit à imposer l’idée que la Nef du Grand Palais
s’est muée en porte-container, même si les 18 000 containers que
le dernier né des navires peut contenir n’auraient pu y être présentés.
Mais au-delà d’une dimension esthétique provoquée par l’amoncellement
et les couleurs, les containers ont été choisis parce qu’ils ont
déjà voyagés – les inscriptions multiples sur leurs faces en témoignent.
Je ne sais pas si c’est toujours le cas, mais à l’époque du naufrage
du container de « La Route de l’art sur la Route de l’esclave »,
j’avais découvert que des navires de la compagnie CMA-CGM portaient
des noms d’artistes : Matisse, Picasso, etc. Son fondateur, M.
Jacques Saadé est un grand amateur d’art.
Myriam
Dao
Il y a un lien fort entre les containers et l’art, et même une
certaine fascination. C’est dans le côté modulaire, et modulable
de l’objet container que réside son principal attrait pour les
artistes, designers et architectes, qui voient dans cet objet
industriel une sorte de « module-or »,
une « unité d’habitation », de vie, de loisir, et même d’espace
d’exposition. Ainsi, on peut voir sur Internet des solutions d’habitations
« économiques et écologiques » fabriquées à partir de
container. Pourtant, si le container peut-être réaménagé, après
des adaptations diverses, il possède une « empreinte carbone »
et une « énergie grise » parmi les plus élevées. Un
objet paradoxal donc que le container. L’utilisation que fait
Huang Yong Ping du container n’est clairement pas à chercher du
côté du recyclage. Le choix des couleurs et leur combinaison se
veut ludique. Un Rubik’s cube, entend-on. Un jeu capitaliste en
version gigantesque. Napoléon n’eut pas désavoué l’emploi de modules
« standards », lui qui a écrit sur l’uniformité des poids et mesures,
un texte à l’origine de l’actuel système métrique. L’artiste déclare
être un familier des containers, comme mode de transport des œuvres
de grandes dimensions qu’il expose à travers le monde entier.
Pourtant, son installation de containers symbolisant la mobilité
des marchandises est incroyablement statique. L’ordre y règne
sans conteste. On ne ressent ni la vitesse, ni les flux, cette
« mobilité du capital » qui était palpable
dans l’œuvre de Adrian Paci The Column en 2013. Adrian
Paci dénonçait lui aussi la logique capitaliste. Poussée à l’extrême
dans sa vidéo, nous suivions la réalisation de la colonne de pierre,
en « flux tendu », depuis l’extraction en carrière jusqu’à
la pose, assistant à la taille du bloc par des artisans sur le
navire-usine qui l’emmenait depuis le port « global » de Shanghai,
premier port de container au monde.(...)
|
|