Et puis il n’y a pas que la simple représentation de l’individu père ou l’individu mère, en filigrane il s’agit d’établir une généalogie entre nos travaux respectifs : des natures mortes ou d’autres sujets qui à priori n’ont rien à voir avec la famille.
Entre nous, il y avait toute une organisation du travail sur le mode de l’échange, de la discussion qui était souvent tumultueuse. Nos rapports n’étant pas ceux ici de parents à enfant : On m’a souvent dit que j’avais de la chance d’avoir des parents artistes m’ayant amenée à être artiste aussi : c’est une image d’Épinal.
C’était en réalité très difficile, car chacun travaillait pour lui-même à un moment donné. Cette interaction, cet échange quotidien dans le travail restait une discussion entre artistes, avec ce que cela implique comme orgueil et auto-centrage.
Je le répète : c’était très difficile…
Je précise que ce travail avec ta famille a fait l’objet de plusieurs expositions en France et en Europe, ainsi que d’un livre « Familly games » édité aux éditions du Caillou Bleu.
Ta première photographie est un autoportrait dans un miroir, tu as 13 ou 14 ans et un crouton de pain dans la bouche. En quoi ton travail se rapproche-t-il de « L'idiotie » qu’évoque Jean-Yves Jouannais dans son livre éponyme paru en 2003 ? Date de ta série intitulée aussi «Idioties».
L’idiot en tant qu’artiste qui assume sa marginalité, sa solitude, à l’aide d’un système de langage qui ne dépend que de lui-même et en décalage par rapport à la majorité sociale.
Dans l’autoportrait de 1984 on peut voir effectivement un lien direct avec la notion de l’idiot de Jouannais :
« L’idiotie s’apparente à quelque philosophie de la compréhension, attentive à l’expérience immédiate, c’est-à-dire passionnée par l’expérimentation. »
De cette image est née la série « Performances de l’ordinaire », et notamment l’autoportrait en noir et blanc de 2000 à la saucisse.
J’aime bien cette idée de rejouer la même situation à des périodes différentes. Cette image rebondira peut être encore une fois dans trente ans, dix ans? …
Le lien le plus pertinent que je vois avec les « Idioties », ainsi qu’avec les « Performances de l’ordinaire », ce sont les Femens qui l’incarnent en ce moment:
Un torse de femme, des seins, qui expriment autre chose qu'une sexualité, qu'un érotisme : un objet politique. Je me mets en scène assez souvent devant l’objectif et j’attends de voir ce qui se passe. Comme une pratique du yoga qui s’appliquerait au regard. Je continue ainsi à apprendre à regarder un corps de femme en cherchant à découvrir à quoi et à qui il sert dans la société au fur et à mesure de son vieillissement et de ses étapes de vie. La question de l'érotisme ou de la sexualité ne m'intéresse pas vraiment.
|