Mais je ne vois sans doute qu’à travers le prisme du postcolonial. Sur ce point, Nguyen Trinh Thi tient à clarifier les choses : Erin Glesson l'a invitée à participer à l'exposition sur la base de ses travaux antérieurs, qui n'ont rien à voir avec le postcolonialisme. Et elle ajoute « j'ai commencé le projet Champa bien avant de recevoir l'invitation d'Erin Glesson pour le Jeu de Paume, et il se trouve qu'au moment où j'ai reçu son invitation, c'était le projet sur lequel je travaillais encore ».
Si le film de Nguyen Trinh Thi me permet au passage de questionner la place de l’art au sein de nos institutions françaises, il ne faut pas que ce propos occulte la puissance de l’œuvre de Nguyen Trinh Thi.
Lettres de Panduranga est une œuvre poétique qui distille avec finesse des positions critiques. Nguyen Trinh Thi a choisi un dispositif narratif qui lui permet de glisser par des citations des messages sans ambiguïté. Les lettres sont échangées entre deux personnages fictifs, dont l’un se remémore entre autre le film manifeste « Les Statues meurent aussi » de Chris Marker et Alain Resnais, qui, rappelons-le, fut interdit de projection en France pendant huit ans pour son propos anticolonialiste. Parmi les références filmiques qui parcourent ce film, il en est une implicite au film expérimental de la réalisatrice américaine Trinh T. Minh-ha « Reassemblage ». Comme dans ce film de 1982, Nguyen Trinh Thi conduit le spectateur à douter, voire même à se construire d’autres représentations que celles qu’il croyait acquises. La forme de dialogue qui s’instaure à travers les lettres échangées nous livre quelques pistes de réflexions qui restent longtemps imprimées en nous. La « théorie du paysage » des cinéastes japonais des années soixante, par exemple, fait pendant à celle développée sur le portrait des non-occidentaux : le paysage reflète le pouvoir du dominant, et le regard du dominé fait face à l’objectif tandis que celui du puissant regarde ailleurs. Il regarde peut-être le paysage…
Il y a ainsi dans le film de Nguyen Trinh Thi une sorte de fluidité circulaire, qui contraste parfois avec des images coup de poing, comme l’image d’archive où l’on voit un archéologue de l’Ecole Française d’Extrême-Orient tout de blanc vêtu, abrité par un « indigène » portant parasol à bout de bras.
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