Les
artistes et les expos |
Certains territoires portent enfin la trace d’une lutte. Ils sont l’expression
fiévreuse et viscérale d’une part énergétique
et jouissive singulièrement humaine qui, tels le rire, l’érotisme
ou la danse, viendrait travailler contre l’implacable de la mort. Ce
sera ici la danse macabre d’ « On stage » proposée
par Nicolaï Huch dont les tableaux sont souvent habités de squelettes
et autres figures fantastiques ou monstrueuses. Là, ce sera le rire
indétrônable du « Junker Toni » par Jonathan
Meese. Tête travaillée par la mort dont le rire noir, comme
le trou des orbites, se détache violemment d’un empâtement
de matière à dominante rouge et blanche. L’artiste explore
ici une voie qui n’est pas étrangère aux autoportraits
du dernier Picasso (et à la manière dont ce dernier, vieillissant,
pose de façon obsessionnelle pour parade à l’unique obstacle
de la vie : l’humour, le masque, le costume, le plaisir de peindre
et la libération de l’instinct vital par une esthétique
brutale).
Inquiétant autrement le regard, le travail proposé par Orlando
Mostyn-Owen (représenté par la galerie qui devrait lui consacrer
une exposition personnelle début 2010 : à suivre avec
intérêt) explore les possibilités expressives de la peinture à l’huile
au travers d’un processus de défiguration dont la saisie pour
le regardeur demeure particulièrement ambiguë. Ici dans « Parklife » (voir
illustration), une jeune femme partiellement dénudée se donne à voir à l’arrière
plan, à travers le feuillage d’un arbre. Mais le motif reste
aux prises avec une matérialité picturale, très empâtée,
qui tantôt lui donne forme tantôt l’arrache à notre
regard. Ce n’est qu’avec plus de force qu’apparaît
ainsi la charge érotique de la figure qui éveille, ou
irrite, le désir de voir de l’observateur, tiraillé entre
la forme et l’insaisissable, le vu ou le suggéré/imaginé (que
fais la belle ? soulève-t-elle sa robe pour rentrer dans l’eau ?
se déshabille-t-elle ? qui la regarde au travers des feuillages ?).
Mais c’est un second personnage qui, lorsqu’il apparaît
soudain dans le magma de matière, attire plus violemment encore
l’attention du spectateur. Plus proche de nous, cette seconde femme,
qui semble plus vieille, est particulièrement austère, presque
agressive. Son visage, aux orbites fortement creusées et défiguré par
les traces laissées dans l’épaisseur de la matière
triturée, semble déjà rongé par le travail du
temps. Porteur d’ombre à cette représentation de nu et
de « vie dans le parc » ? L’Eros aux prises
avec Thanatos ? Manière de rappeler que toute beauté porte
en soi son odeur de charogne…
Les recherches d’Allison Schulnik enfin, donnent une autre forme singulière à cette
expression fiévreuse et énergétique de l’acte.
S’inscrivant dans une veine expressionniste, ces portraits explorent
les possibilités plastiques de la défiguration et de la destruction
de la figure humaine. Bien que n’étant pas représentés
dans Holy Destruction, on voulait souligner ici la force renversante
de ces portraits, tels « Long Hair Hobo 2 » ou « Hobo
clown 4 » (voir illustration). Conférant une présence
dérangeante aux personnages, le travail de l’huile déjà,
par empâtements successifs, créé du volume et impose
la peinture dans sa réalité physique. Prenant corps de façon
grossière dans ce magma informe de matière, et sans que les
contours n’en soient distinctement délimités, la figure
donne tantôt l’impression de dégouliner, tantôt
de se désarticuler, tel un poupon de chiffon. De façon pathétique,
elle semble lutter - contre l’impossible de la forme (de l’être ?)
- pour pouvoir exister à notre regard. Et c’est une même
dimension tragique qui contamine l’expression du visage. Les yeux (deux
orbites noires démesurées) comme la bouche (énorme,
cerclée de blanc), donnent au visage une mine boudeuse et interrogative,
proche de l’absurde, qui interpelle avec insistance le spectateur.
Le choix du sujet lui-même joue enfin une place essentielle. En témoigne,
dans « Hobo clown », le tragique véhiculé par
la représentation d’un personnage en costume du clown, assis,
aux côtés de son chien, seul avec son rire. Un rire qui ne rit
plus. Mais qui reste ce que nous avons encore de plus profondément
humain : ultime et dérisoire parade à l’impossible
de l’homme.
Holy Destruction réunit ainsi des présences au monde qui ne
se donneront entièrement à vous que comme expériences.
Expériences salutaires en ce qu’elles vous feront précisément :
exister ! Mais qui ne passent pas par les mots, ni les commentaires,
plutôt par une présence. Celle d’une peinture qui toujours
appelle la rencontre. Qu’il vous reste à vivre. A voir, donc !
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