Les six œuvres publiées
en 1915, qui accompagnent le Manifeste La reconstruction
de l'univers,
signé par Balla et Depero, portent le titre de "complexes
plastiques". Ces œuvres n'existent plus, toutefois, à partir
de leur reproduction, différentes sortes de vide peuvent être
repérées parmi les œuvres. Pourtant, le vide est-il
un élément complexe de la construction plastique ?
Dans le Complexe plastique coloré de vacarme + vitesse, en carton
et fer blanc coloré, Balla compose les lignes de force à l'aide
plusieurs matières, de façon à faire sortir un nouveau
vide concave, creux. Il s'inspire des lignes de vitesse étudiées
dans le mouvement des ailes des hirondelles, et également d'après
le tourbillon et les trajectoires courbes des automobiles. L'œuvre
peut être le résultat de ces trois thèmes de recherches.
Mais le nouveau vide est mis en évidence, à l'intérieur
de formes en fer blanc et en carton. Le mouvement est suggéré par
l'entrecroisement des lignes courbes. Le vide concave s'exprime dans différentes
dimensions : chaque forme concave est construite et élevée
par une ligne de force métallique et un mouvement dynamique vigoureux.
Ces lignes donnent l'impression d'une grande rapidité d'exécution;
avec une nouvelle épaisseur corporelle plastique, elles construisent
un vide concave, et ressemblent à des sortes de frontières élevées
autour des vides, qui créent l'obscurité autour d'elles,
vers l'extérieur et l'intérieur de cette élévation,
et sur le fond du plan. Le choix du fer blanc pour les frontières
permet d'éclairer leur élévation; le milieu du plan
de chaque élément concave reste plat et lumineux. Cette construction à base
d'entrecroisements de formes concaves ouvertes peut être comparée à des
frontières géographiques en relief, entre pays, sur une carte.
Ces lignes de force courbes dessinent des formes ovales vides concaves, à la
fois fermées sur elles-mêmes et donc indépendantes,
et à la fois en chevauchement les unes sur les autres.
Cette
création d'une nouvelle esthétique du vide à travers
des formes ressemblant à des visages ou des têtes, dont la
forme évoque plus ou moins celles du style de sculptures de Brancusi,
peut être interprétée comme la représentation
des interrelations humaines dans la société : les individus,
symbolisés par des formes concaves ouvertes, sont à la fois
divisés et reliés entre eux par des lignes dynamiques, qui
stimulent leur activité dans la société. Les lignes
de force traversent les frontières et invitent à une activité sociale
dynamique. Les lignes en fer blanc brillent, et séparent l'ombre
existant dans l'œuvre. Les lignes de force qui entrent dans les formes
voisines sont des signes de passage, qui fonctionnent dans tous les sens
: en retour, les formes voisines pénètrent par ce même
chemin dans la forme d'origine.
La composition est réalisée à partir de fragments
encastrés l'un dans l'autre. Elle obéit à trois principes
fondamentaux : le premier concerne l'aspect plastique et la création
d'une nouvelle esthétique du vide; le deuxième est fondé sur
la présentation des lignes de force en tant que signes de mouvement
dynamique; enfin, l'aspect social est évoqué par les formes
assises sur le fond plan qui représente la société.
Ce fond plan est rendu lumineux en ses centres par la composition des éléments
et la présence des limites des lignes de force qui construisent
l'ombre sur les pourtours du vide concave. L'individu et sa nouvelle activité contribuent à rendre
son environnement plus lumineux. Le vacarme évoqué dans le
titre est le résultat de tous ces mouvements à travers la
dynamique entre les formes creusées d'une manière esthétique.
Le second travail de Balla, Complexe plastique coloré de vacarme
+ danse + allégresse (miroirs, fer blanc, talc, carton, fil de fer)
est une suite proposée au mouvement développé dans
la première œuvre : le motif de la ligne courbe est ici traduit
par un fil de fer en spirale. C'est l'élément principal qui
traduit le vide, à l'aide des cartons, des miroirs et des morceaux
de fer : le fil métallique construit un vide qui enveloppe l'œuvre
depuis le côté gauche en montant vers la droite jusqu'au sommet.
L'artiste a choisi d'utiliser ici l'élément du miroir, qui
offre un reflet au vide, et de donner ainsi un certain contraste aux éléments,
et une certaine esthétique à l'utilisation du carton et du
fer blanc. La forme présente un mouvement extrêmement dynamique
proposant une interprétation du sujet de la danse, à travers
le vide qui donne une légèreté à la forme tout
en conférant une grande puissance au mouvement. Le vide dans cette œuvre
présente l'énergie du mouvement spiralique, qui évoque
celui de la danseuse et rappelle l'œuvre Développement
d'une bouteille dans l'espace de Boccioni. L'utilisation de la spirale par la
tige métallique et le vide suggère également une comparaison
avec le style de Tatline de la même époque visible dans le
Relief daté également de 1915. Nous ne pouvons pas savoir
lequel des artistes a influencé l'autre, ou si leurs travaux proviennent
d'une même inspiration.
Le troisième travail de Balla publié avec le manifeste s'intitule
Complexe plastique coloré de lignes de forces, fabriqué en
carton et laine, fil rouge et fil jaune. Ce complexe est composé à partir
de deux formes pyramidales vidées de leurs façades et adjacentes,
dont l'une, à droite, est posée sur sa base, et l'autre,
accolée à gauche, est renversée, posée sur
son sommet. Le vide apparaît dans cette œuvre comme un vide
concave géométrique. La pyramide de droite s'apparente à l'entrée
d'une tente. Un faisceau de sept fils est attaché sur l'axe oblique
central de l'œuvre; il est distribué sur le pan de gauche.
Un autre faisceau de onze lignes démarre immédiatement en
dessous vers le pan de droite en traversant toute la largeur de l'œuvre
au premier plan, construisant une façade ajourée de lignes
presque horizontales.
Le sommet renversé de la pyramide de gauche, qui est aussi le pied
de la pyramide de droite, est un point de rencontre essentiel de la composition; à ce
un point d'inversion s'ancre un troisième faisceau de onze lignes,
dirigé vers le pan de droite, en prenant pour alignement la base
de la pyramide. La distance vide entre les lignes du faisceau supérieur
apparaît plus libre, plus large, que celle des autres faisceaux.
Cette composition de formes géométriques pyramidales avec
des lignes obliques et horizontales construit tout un dialogue entre verticalité,
horizontalité et oblique, d'une part, et le vide qui se présente
en tant que concavité à l'intérieur des deux pyramides,
et le vide entre les lignes, d'autre part.
Dans cette oeuvre, nous nous intéresserons principalement au dialogue
entre les différentes sortes de vides et leur lien avec les formes
géométriques et les lignes. Les matières choisies – carton
et fils de laine – témoignent de la recherche de nouvelles
matières plastiques et esthétiques qui correspondent à la
recherche d'un nouveau style de vide. Balla, à nouveau, utilise
ses études sur le trajet et la vitesse des automobiles, et sur les
traces qu'elles laissent derrières elles; il les traduit par des
lignes de force en laine : cette matière fragile est paradoxalement
utilisée pour les lignes de force. Les distances entre les lignes
de force en pleine lumière et le fond vide et sombre de la pyramide
construisent un rapport entre extériorité et intériorité :
l'extériorité est mise en évidence par les lignes
qui créent entre elles un vide. A travers ces lignes, on aperçoit
l'intériorité du vide sombre de la pyramide. L'artiste montre
ainsi que l'extériorité dynamise l'intériorité,
pleine d'obscurité, zone d'ombre abandonnée, statique, qui
caractérise une certaine vision figée du passé. Les
pyramides symbolisent l'idée d'histoire et d'ancienneté immuable,
que l'on associe spontanément aux pyramides égyptiennes.
Le fait de placer le vide à l'intérieur des pyramides est
une manière d'isoler et d'enfermer le passé au fond de l'œuvre
et de la société. Les lignes, en laine de couleur, qui relient
les formes créent des vides qui peuvent être le lieu du présent
dynamique et proposent une lumière pour la société.
Chaque ligne peut représenter aussi chez les futuristes le nouvel
individu comme élément actif. Le vide entre les lignes présente
une forme d'activité lumineuse, d'énergie entre les gens,
contre les règles traditionnelles, instituées, suggérées
par un vide statique, prisonnier à l'intérieur des pyramides,
sombre. Les lignes ont donc un double rôle d'illumination et d'enchaînement
du passé symbolisé par le vide sombre : les individus sont
au premier plan, et cessent de se tourner vers le passé; la lumière
leur vient de l'extérieur, et non de la profondeur de l'histoire.
La lumière est ainsi un élément de la nouvelle société,
avec le rôle d'éclairer l'avenir. La lumière qui éclaire
trois faces des deux pyramides est en outre un élément esthétique
pour mettre de l'harmonie dans la construction plastique. Elle peut être également
un élément d'équilibre et de contraste envers l'ombre
qui règne dans la concavité.
Le rassemblement des fils et le vide entre les fils symbolise l'union des
personnes qui manifestent contre le passé, pour construire une nouvelle
vie présente et future. Le renversement de la pyramide peut signifier
en ce sens le bouleversement du passé. Vider et creuser les pyramides
symbolise la vacuité du passé, jugé peu intéressant.
A travers cette œuvre, Balla met en évidence ses recherches
sur les lignes de force dynamiques et sur les formes géométriques
: il utilise le vide d'une manière fidèle au texte du manifeste.
Ce type de recherche sur le vide à l'aide de fils est également
pratiqué par d'autres artistes d'avant-garde.
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