Dossier
Esther Ségal
(
extrait de Rédemption de Satan )
par
Esther Ségal
mis en ligne le 26/01/2010
-
Est-ce là les enfers ?
-Des visages sans émotions… des regards absents, tristes, des
corps voûtés… comme s’ils avaient grandis trop vite.
Des enfants… des femmes… des couloirs à perte de vue…
( On voit des images projetée tout autour de Judas, des tunnels,
des quais, des visages, des trains puis un chant se fait entendre)
Judas s’était assis sur un siège et observait en silence
la foule. Au loin, il y avait un musicien tanguant au rythme de sa musique
et de l’alcool qui s’écoulait tout le long de ses veines échauffées
par l’effort. Il jouait face à Judas. Il jouait pour sa vie,
pour oublier, avec la bravoure de ceux qui n’ont plus rien à perdre,
souriant au vide comme un acteur de théâtre s’adresse à l’obscurité.
Judas le regardait. Il avait dû être beau. Ses mains dansaient
le long de son instrument avec virtuosité.
- L’enfer a donc aussi
ses chants ?
Parmi, les milliers d’images qui assaillaient Judas, certaines montraient
des scènes de guerre, de mort, de destruction, de paysages magnifiques,
de forêts, de sources… puis à nouveau la grisaille de
la pierre, la pauvreté. Il était toujours assis, immobile.
Le musicien avait disparu. S’élevaient maintenant des voix aiguës,
graves, jeunes, usées…
Les
voix (à la suite)
-
Je…passer…manger…rester propre…oui… je vais
passer…parmi vous…oui…pour dormir…au chaud… Un
peu de dignité…passer…une pièce…manger…s’il
vous plaît…une petite pièce pour nourrir mes enfants… j’ai
perdu mon travail… un ticket de restaurant pour manger et dormir au
chaud, si vous avez un job, je suis aussi intéressé… Sous
le pont Mirabeau coule la seine… je viens de sortir de prison…
C’était
ceux qui avaient depuis longtemps perdus leur nom, leur maison… ceux
qui sur le champs de bataille de cette guerre sociale étaient tombés,
maculant le sol tels des chewing-gum abandonnés parce qu’ils n’avaient
plus de saveur pour cette société de consommation. Seuls leurs
mains, stèles vivantes, se dressaient encore parmi la foulées des illusoires vainqueurs.
Il y avait l’homme à barbe blanche qui déclamait des
vers de poésie comme Lazare revenu d’entre les morts, l’éternel
jeune homme terminant ses études au fin fond d’une chambre de
service, l’homme tenant ses pancartes comme des tables de la loi et
accusant la société de déverser des produits soporifiques
sur la ville durant la nuit, la femme à la minerve blanche. Tous,
brillaient de cette étoile solitaire, déchus des cieux préfabriqués
d’aujourd’hui. Pourtant, eux aussi avaient surplombé l’abîme
et leur corps n’avait pas toujours été l’incarnation
de l’indifférence d’autrui. Ils avaient eu peur la nuit
dans leur lit, fêtés leurs anniversaires, pleurés dans
les bras d’une mère, rêvés que leur vie serait
autre. Et puis, un jour, ils en avaient eu assez de se battre et leurs corps étaient
retombés dans le silence. Ils s’avançaient de plus en
plus nombreux au devant de Judas, comme un peuple désavoué cherchant
son roi.
-
Est-ce-là, la réponse à mes questions ?
Des âmes en peine, occupées à converser avec des portes,
un reflet dans une vitre… vouées à elle-même avec
leur visage semblant avoir été modelé au doigt… écrasé,
comme un golem mal dégrossi ayant reçu un crachat à la
figure en guise de souffle de vie ? Est-ce là…la réponse… ?
Soudain,
ne demeura que le silence…lourd…le vide… et ce corps allongé sur
le quai d’en face, enveloppé dans une housse blanche que des hommes
en uniforme venaient emporter. C’était la neuvième heure,
Judas regardait la scène avec attention…. Ce corps recouvert
d’un linceul de plastique blanc sur le bitume avec pour seuls disciples,
des policiers indifférents…