Le théâtre

Cultures, culture.

par Pierre Corcos

Globalement, avec ce Colloque International de Biarritz sur les "Interculturalités", le théâtre retrouvait sa vocation de forum, sa dimension critique et interrogative, posant la question dramatique des cultures menacées, et les échanges avec la salle, qui suivaient chaque intervention, montraient que les enjeux culturels en ce début du XXIème siècle sont devenus considérables. Est-ce à cause de l'hégémonie écrasante de l'idéologie néo-libérale, qui a tendance à tout niveler et décoder selon la même axiomatique du profit à court terme ? Ou est-ce parce que l'avenir devra interroger le culturel pour faire de l'écologie la base d'une autre civilisation ?

Mais alors qu'est devenue la culture, cette fois au sens humaniste plus qu'anthropologique, la culture qui se cultive et qui ne se consomme pas, comme dit le philosophe Stiegler, la culture qui vient rappeler son fécond sens étymologique de "creuser la terre et la rendre fertile", la culture s'installant dans l'"otium", l'oisiveté, évitant les transactions vulgaires du "neg-otium" (négoce), la culture qui a peut-être gardé le meilleur de l'esprit aristocratique, et revendique le raffinement, la gratuité, la sophistication, la brillance ? Ne faut-il pas la rechercher dans d'autres époques, sans nostalgie aucune, mais en se disant que, peut-être, dans le contexte d'une autre civilisation à venir, moins obsédée par l'utilitaire et le profit, on pourrait déjà en revenir à ces jeux étincelants de langage ? On lit par exemple les "Caractères et Anecdotes" de Chamfort, et l'on imagine comment les mots peuvent se fourbir en "pointes" (ou traits d'esprit). Mieux encore, on assiste à Peines d'amour perdues de Shakespeare dans l'élégantissime mise en scène que Gilles Bouillon nous propose, et l'on s'interroge sur cette brillance dispendieuse... Dans cette comédie galante, où se multiplient des travestissements dignes de Marivaux, les jeux de langage sont rois. Savoir tourner un compliment, jongler avec les figures de rhétorique, se livrer à des joutes d'éloquence constitue, bien plus qu'un passe-temps, un art de vivre. Certes, l'amour authentique veut de la simplicité, mais la promesse finale d'ascèse de ces princes amoureux ne nous concerne guère, déjà ils n'ont pas tenu leur serment de rester à l'écart de la gent féminine !... La dramaturgie de Bernard Pico met en relief toute la théâtralité généreuse de cette proposition shakespearienne, miroitante, somptueuse. Alors la grande question se résout-elle ici au parler vrai de l'amour ? Comme disait Aristote, l'erreur est plurivoque. Et Shakespeare préfère emprunter les voies multiples qui mènent à l'illusion, au jeux de langage, aux vertiges burlesques, aux joutes de la rhétorique, plutôt que se confiner dans une parole à la fois authentique et économique... L'enthousiasme des jeunes comédiens, l'élégante scénographie de Nathalie Holt, légère et mobile, les rutilants costumes de Marc Anselmi accompagnent, avec un goût sûr, étonnant William Shakespeare dans ce chatoiement, cette virtuosité, pariant sur la réversibilité des signes, les jeux circulaires de la Séduction...

Revenons à notre question initiale de "culture". Prise comme valeur et non comme fait, comme art et non comme produit, comme style de vie et non comme objet, la culture ne peut qu'exiger une dépense de temps gratuite, un jeu d'idées et de formes qui ne prétend établir aucune vérité... Pour l'instant, cette conception de la culture n'est pas envisageable, car elle impliquerait un monde libéré, émancipé. Grâce soit rendue à une pièce de théâtre de nous rappeler que le passé contient aussi des rêves d'avenir.

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Le théâtre : Cultures, culture par Pierre Corcos
mis en ligne le 26/01/2010
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au 4 ème Colloque International de Biarritz
Chantier Sud/Nord
« Les interculturalités »
 
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