Les artistes et les expos

Samuel Rousseau ou la vie rêvée des choses
(Vidéos pas gags)

par Jean Paul Gavard Perret

Reposant sur la transformation des objets du quotidien par le moyen de la projection vidéo, la vie est insufflée à des objets inertes comme des pneus, une branche d'arbre ou une bougie. Elle reconstitue une fiction de leur possible vie passée. Par la magie de la projection vidéo, l'artiste prolonge l'ombre d'une branche morte en arbre majestueux. La métamorphose est à peine perceptible et lorsque l'arbre atteint son maximum de croissance, les fleurs bourgeonnent puis éclosent, pour enfin laisser place aux feuilles qui vibrent au vent puis tombent et disparaissent sur le sol. On assiste au cycle complet de la vie d'un arbre, déroulement simple s'il en est mais c'est de la finesse du dispositif mis en œuvre que naît l'enchantement. Cette ombre vivante fait penser à un ectoplasme, une trace de substance émanant de la branche morte. La coexistence entre l'ombre de la branche réelle et sa vie prolongée comme dans un souvenir de son passé, de son heure de vie, donne une vraie valeur poétique au dispositif. Encore plus simple et épurée, l'installation à la bougie questionne l'évidence de notre perception. Confronté à la redondance de la bougie, dans sa version de cire et dans celle de son ombre projetée sur le mur additionnée d'une image de flamme virtuelle, notre œil enregistre l'image d'un cierge allumé. Comme une vision rêvée de l'âme de ce bout de chandelle. Au milieu des puits de pneus en caoutchouc noir de la série Vortex, on découvre des écrans vidéo sur lesquels de petites voitures font la ronde, entraînées dans un mouvement perpétuel. Cette fantaisie lumineuse nous immerge dans la vie passée de ces objets maintenant inertes, pneus dont le sens et la pertinence résident dans le roulement, kilomètres après kilomètres.

Certes parfois, comme il le fit à la galerie « Red District », la vidéo s’incorpore à l’espace pour en devenir le« papier peint ». Elle est faite pour changer de décor et quasiment de lieu. Samuel Rousseau illumine l’espace par la vidéo, prise comme source d’éclairage électrique, médium énergétique. Elle habille et anime un vaste mur en faisant vibrer sa surface inerte. C’est en effet la première impression que l’on a lorsqu’on pénètre dans l’espace tant la projection crée un environnement, un milieu, une ambiance qui enveloppe le visiteur. D’autres pièces, utilisant la vidéo ou non, sont disposées sur les autres murs ou bien sur le sol. Elles baignent dans la lumière qui émane du mur de pixels vibratiles. Par ailleurs une table d’orientation permet au visiteur de choisir parmi les neuf motifs de « papiers peints vidéos » comme les désigne génériquement l’artiste. Cette expression paradoxale renvoie à une pratique décorative de tradition ancienne dont l’usage moderne, lié à une fabrication industrielle, évoque le motif répétitif et l’adaptation à toutes formes de surfaces. Partant de ces principes, Samuel Rousseau utilise le médium vidéo en guise de papier, et l’image photo ou vidéo en guise de peinture et de motif ; il adapte la projection à la configuration des lieux en esquivant les obstacles grâce à des découpes dans l’image.

L'évolution des techniques n’empêche donc pas la confrontation avec des imageries plus anciennes. Samuel Rousseau estime (à juste titre) qu’il existe un lien puissant entre la technologie dans son évolution actuelle et les cultures traditionnelles d’occident et d’orient. Pour lui un des points de rupture les plus importants entre ces cultures a été la restructuration de l'image à travers les lois de la perspective - avec Brunelleschi et la formulation d'un espace illusionniste. Et l’artiste a déjà compris qu'en rompant avec le principe de la lumière comme fondement de l'image, on en reviendra à certains aspects de la tradition antérieure, notamment à la manière dont on concevait les images au Moyen-âge en Europe, et dont on les conçoit encore de nos jours en Orient. Pour Samuel Rousseau l’image n'est pas considérée comme un arrêt du temps, une action suspendue, un effet de la lumière. C'est avant tout une projection du spectateur et c'est l'interaction entre le spectateur et l'image qui compte. Sa technologie amène à construire les objets selon un processus allant de l'intérieur vers l'extérieur, plutôt que l'inverse. C’est pourquoi en avançant il va autant vers le passé autant que vers le futur. On peut considérer ce processus comme une progression organique semblable à celle de la naissance des arbres : ils ne croissent pas, ils rayonnent à partir de leur centre suivant des cercles concentriques. Pour Rousseau l'art se développe de la même façon.

Les artistes et les expos : Samuel Rousseau ou la vie rêvée des choses (Vidéos pas gags) par Jean Paul Gavard Perret
Samuel Rousseau.
Du 10 juillet 007 au 7 novembre 2010,
Fondation Salomon, Alex.
mis en ligne le 11/05/2010
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