Samuel Rousseau ou la vie rêvée des choses
(Vidéos pas gags)
Œuvres sensibles et fines les installations de Samuel Rousseau évoquent un travail d'archéologie des objets. Et par la précision de leur mise en œuvre elles troublent la vision. L'image réelle y cohabite de manière évidente avec l'image virtuelle dans une sorte d’abstraction qui tient plus au réel qu’à la virtualité elle-même. C’est pourquoi demeure toujours dans son approche quelque chose de concret. L’expérience visuelle est donc bien physique. Le réel se transforme en image, mais l’image devient une réalité quasi palpable comme s’il existait en permanence une présence invisible ou un élément manquant avec lequel il était nécessaire d’entrer en contact pour que l’art soit vivant.. Cet élément est le spectateur ou la fonction de spectateur. La nature fondamentale du travail à la vidéo reste pour le vidéaste l’interaction dynamique entre les deux, et non la technologie et le langage de la vidéo à eux seuls.
Samuel Rousseau pour atteindre cette interaction cherche à dégager la « scorie de la scorie », d ‘épurer son langage et de traverser l’illusion autant pour la briser que pour la faire fructifier. Le feu est pour lui un symbole très puissant et très évident de cette purification. Il est aussi le signe de naissance, et même de mort. Il suggère aussi par sa lumière inhérente que les événements de ce monde sont illusoires ou éphémères, puisqu’ils ne sont visibles que comme reflets. La réalité n’est jamais perçue directement - c’est la Caverne de Platon. C’est pourquoi aussi la vidéo prend chez Rousseau sa source dans le direct. Le plus souvent le Grenoblois travaille à partir de situations réelles en se dégageant de tous les éléments superflus, pour essayer de revenir à ce qui est fondamental. Il s’agit donc bien comme nous le disions plus haut de penser avec la main ou comme le dit Bill Viola à propos de ses œuvres « d’avoir les images dans la main ». Sans pour autant s’abstraire du monde. Son installation « Jardins Nomades » (2007) et sa série de photographies « Douceurs marocaines » (2006) évoquent la migration ou le voyage avec une poésie et une esthétique qui dissimulent à peine les réalités sombres qui les sous-tendent : drogue et déplacement économique forcé, comme d’autres œuvres parlent le rebut et le gaspillage capitaliste.
L’artiste développe une façon de créer liée directement à son expérience sensorielle, par le truchement de ce bras qui est déjà image. Nous sommes renvoyés à l’intérieur et à l’extérieur de la représentation. Comme si, dès le moment où la réalité a laissé sa marque sur l’esprit, nous étions projetés à nouveau sur « l’extérieur » des images. Ce travail permet de donner une image de l’image elle-même et de son émanation. « Maternaprima » (2007) renvoie ainsi vers l'essentiel : l'individu et l'univers, la genèse et l'achèvement. Le regard est porté du microcosme vers le macrocosme ou l’inverse comme pour ses « Casei » (2007), photographies à la fois de planètes, d'organismes cellulaires ou simplement de fromages… La nuit et le jour, l’ombre et de la lumière, le rythme, l’infiniment grand et l’infiniment petit, la réversibilité du temps deviennent donc les aventures de la perception. Les fictions élémentaires, presque invisibles à l’oeil nu, à l’oeil banal font du regardeur un observateur méticuleux et passionné au sein d’un temps aussi pulsé que non pulsé. Et l’effet de boucle d’une majorité de vidéos y est pour beaucoup. Grâce à celui-ci le spectateur peut revivre le temps nécessaire à l’expérience ce qu’il ressent même si cela peut lui paraître (et rester) mystérieux. C’est le temps nécessaire à voir et comprendre, à savoir et se comprendre. Rousseau homme d’image est donc bien un poète par son regard juste et pour sa quête d’un corps à partir duquel poser ce regard.
Jean Paul Gavard Perret