Sa recherche se poursuit avec Représentation perception, dans laquelle le fond rouge cède la place à un fond blanc. Les sujets sont placés dans un environnement neutre, qui les allège de l’anecdotique. Le cadrage en légère contre-plongée leur donne une vivacité remarquable. Mais l’acte de l’artiste consiste aussi à saisir à travers l’apparence de son modèle, -notamment son code vestimentaire, sa posture, l’équilibre entre sa vulnérabilité et son énergie -, le travail intérieur, caché, qui construit ses choix quant à la représentation sociale qu’il veut faire de lui-même. Des interventions picturales qui pixellisent des parties du visage, complexifient l’image, l’éloignent encore plus de son unité référentielle, tout en gardant l’expression fugitive de l’instant décisif et en rehaussant la représentation d’une vitalité biodynamique dans laquelle les parts de naturel et de culturel s’équilibrent.
Dans les plus récentes séries, les sujets photographiés
par APM acquièrent, par une certaine forme de pixellisation, de plus
en plus de contours, de volume et de relief. Bien que les interventions picturales
aient lieu après la prise de vues, on pourrait penser qu’APM
a photographié des sculptures.
Dans Identity’s portraits et White frontal, APM engage une sorte
de performance avec les images de soi qu’on lui a abandonnées.
Au travers des mutations qu’elle impose à la figure de ses modèles,
celle-ci résiste tout en épousant le geste de recréation
de l’artiste.
Andrée Philippot-Mathieu travaille sur le plein par un processus qui
consiste à faire advenir la présence en administrant les relations
entre une unité commune (l’arrière-plan) et la complexité du
vivant (les passages de formes) et par l’intervention délibérée.
Ainsi dans ces deux séries bien que les modèles semblent avoir été coulés
dans la résine ils n’en donnent pas moins l’impression de
pouvoir rester éternellement en vie. Ces oeuvres ne sont pas mortifères
mais au contraire signent le désir de conservation. La matière
générée par le filtre numérique gardant une élasticité,
une plasticité, est gardée en mémoire mais sauvée
de tout effet de pétrification.
Cette étrange métamorphose pourrait évoquer aussi une
sorte de dérèglement cellulaire. Ou une figure d’alien,
intrus sortant d’un corps qu’il a colonisé. APM sait aussi
bien chambouler qu’ordonner, et les visages confiants n’expriment
aucun déplaisir devant ses interventions. Les « traitements » visuels
qu’elle leur applique créent pourtant un trouble certain. Trouble
créé par une juxtaposition très « raccord » entre
la discipline réaliste et une matière abstraite qui fait muter
l’image tout en préservant la part d’imaginaire et de croyance
qu’on peut y investir.
Avec les Nomadic portraits, APM aborde l’entièreté de
l’autre et parvient à créer un effet d’empathie à partir
de portraits capturés sur le vif pendant des voyages. Retravaillés à l’ordinateur,
ces inconnus acquièrent une étrangeté qui les rend uniques
et donc différents tout en créant un effet de présence
très puissant. Ces portraits nous saisissent par les énigmes
qu’ils recèlent et qu’on croit deviner.
Les interventions d’APM mettent en place un principe actif de tension
pour accéder à l’intériorité du modèle
tout en lui gardant son intégrité. Ces jeux de masques nous rappellent
aussi que la personne est un acquis et pas seulement une essence ou une nature.
< retour | Anne-Marie Morice |