Cette peinture qui nous exalte, soudain, au-dessus de nous-mêmes, comment pourrions-nous imaginer les tourments de sa conception ? Qu’à son créateur, elle ait donné « tant de mal » ? Fait «tant de mal » ? Ici, bien plus encore que pour la parole, se vérifient ces mots que Bernanos prête au curé de Torcy, dans « Le Journal d’un curé de campagne » : « Quand Dieu tire de moi, par hasard, une parole utile aux autres, je la juge au mal qu’elle me fait. »
Devant une oeuvre sincère, nous tous à qui elle est destinée, par qui elle atteint sa destinée vitale, nous ne connaîtrons rien, même pas un soupçon, de la lutte secrète qui l’a engendrée. Là où il va, l’artiste est seul avec tout son monde à lui. Explorateur têtu, puisatier qui s’exténue à vouloir forer jusqu’au fond de soi et des choses. Mais on ne peut jamais.
Une lutte, oui, et c’est naturel, comme dit Matisse (pas de malédiction, là-dedans). Lutter contre qui, sinon contre lui-même, contre les redites et les facilités, pour ne se plier jamais à la vision d’autrui (« Les bourgeois d’Amsterdam ne savaient pas que le dimanche de Rembrandt n’était pas le leur », comme dit Malraux), pour rejeter peu à peu tout ce qu’il n’est pas, pour n’exprimer finalement que ce qui n’appartient qu’à lui. Il ne peut se donner à nous que dans sa vérité. Et sinon, il ne serait qu’un de ces « badigeonneurs de mensonge », que maudit le livre de Job.