Le
fétichisme ne date pas d'aujourd'hui : avec les "vrais" mor
ceaux de la Croix du Christ vendus au Moyen-âge, on aurait pu reconstruire
l'arche de Noé! La course à l'Original en matière de peinture
est une lubie peut-être plus récente. Au XVIIème, on était
assez friand de copies pourvu qu'elles soient d'une bonne main. Ce fut une
des raisons des voya ges des artistes français à Rome. Mais la
copie n'est pas strictement semblable à l'original me direz-vous ! Jusqu'à ce
jour, oui. Chardin, qui faisait lui-même ses copies, n'y mettait pas
le soin (ni le temps) consacrés à ses originaux et cela se voit
! Au Louvre, on "contrôle" les copistes trop talentueux en
interdisant la reproduction à la même échelle. Frédérico
Zeri, grand découvreur de chefs-d'oeuvres perdus ou mal attribués,
préférait travailler sur des reproductions N&B pour éviter
la trahison de la reproduction couleurs. Cependant, les moyens de reproductions
graphiques permettent, depuis peu, de reproduire, quasi à l'identique,
un tableau, nous confrontant soudainement à notre rapport à l'oeuvre.Si
on ajoute à cela que beaucoup d'oeuvres ne sont connues qu'à travers
la reproduction qui trahit le rapport à l'échelle du tableau
: Bacon ne voudra jamais rentrer dans la Galería Doria Pamphili à Rome
pour y voir le portrait d'Innocent III de Vélasquez qui est, pourtant,
le thème de plusieurs de ses tableaux ; les Noces de Cana sur une feuille
A4 ne créent pas le choc des 70 mètres carrés de l'original
!...
Quelle différence pour le Japonais revenu à Tokyo d'avoir été photographié devant
la vraie Joconde ou devant sa copie ? Si ce n'est de le savoir, me direz-vous!
Et d’être, in fine, venu voir la matrice de toutes les reproductions
déjà croisées. En matière d’original,
la récente découverte de la « première » version
du Marat de David alimente le sujet déjà riche des multiples
versions peintes par David, ses élèves et d’autres. L’œuvre
n’est-elle pas dans ce premier jet ? David, lui-même, ne fait-il
pas œuvre de copiste, même s’il modifie ce premier jet, en
le reportant au carreau sur le tableau de Bruxelles ?! Vaste débat
dont le seul intérêt, et c’est bien le but de mon intervention,
est de nous amener à regarder l’œuvre « au plus
près » !
C'est là tout l'objet de cette intervention : nous interroger sur notre
rapport à l'œuvre sous toutes ses formes.
Mon projet, décrit ci-dessous, à l’heure où est
réédité le petit livre de Walter Benjamin paru en 1936 !!
L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité,
me semble pertinent, plutôt qu’impertinent. Quelques pistes
de réflexion soulevées par mon projet : Qu’est-ce
qu’une oeuvre ? Quelle différence entre La Joconde de Léonard
de Vinci et une parfaite réplique ? L’authenticité ?
Mais l’authenticité n’est elle pas notre fantasme de nous
relier au passé et de croire, par là, à une continuité des
choses, à une permanence, alors que, comme dit le moine zen, le verre
est déjà cassé ?