De "exuberare", en latin, qui signifie "regorger", formé sur "uber", "fertile"... Exubérant. Surfertile en quelque sorte... On reçoit ici l'idée d'une surabondance qui à la fois réjouit, par sa puissance, sa vitalité, mais inquiète un peu par l'excès et le désordre qui s'y manifestent. Dans le caractère exubérant, on entrevoit la "manie" au sens psychiatrique, laquelle fascine toujours, comme son opposé, l'esprit chagrin. On voit également le délire, que l'on peut approcher positivement, à la fois comme production abondante et échappée épisodique à l'encontre d'une certaine rationalité.
L'exubérance au théâtre, c'est un type de texte, de mise en scène, de jeu... En ces temps de restrictions budgétaires, d'économies raisonnables et forcées, l'exubérance sur la scène s'avère bien plus réjouissante que vraiment inquiétante. Quelques lignes sur cette admirable mise en scène, signée Philippe Adrien, d'une pièce de Georges Feydeau, Le Dindon... Le motif de départ est, comme souvent, l'adultère. Ce n'est bien sûr qu'un prétexte de l'auteur pour développer au maximum l'esprit comique, avec des renversements de rôles, des gags multiples, des quiproquos, des saillies verbales, des poursuites, etc., etc. Tout cela pris dans un mouvement perpétuel, un "perpetuum mobile" qui est, pour Feydeau, la condition essentielle du théâtre. Donc voici les dindons de la farce et les farces du dindon, dans un imbroglio où seul le dramaturge (et obligatoirement le metteur en scène) peut s'y retrouver. Et alors là, certes, on peut se contenter de monter la pièce avec la précision d'un horloger, en faisant sonner les nombreux carillons et coucous aux moments précis indiqués dans la partition. On gardera les effets de cacophonie, la satire hilarante des moeurs bourgeoises, et tout le monde sera content... Mais on peut aller beaucoup plus loin, comme Philippe Adrien. Car si le thème de la pièce est prétexte à force comique, la force comique peut, pour le metteur en scène inspiré, devenir à son tour prétexte à cette luxuriance des moyens, des langages théâtraux, qui emportera le froid spectateur parisien vers les touffeurs diaprées et tropicales des forêts amazoniennes... Du décor tournant comme un manège qui s'emballe aux pantomimes impromptues et outrées des comédiens, en passant par de multiples apparitions saugrenues et oniriques, d'étonnants jeux d'éclairage, des costumes excentriques, des détails surréalistes, c'est ici comme la folie d'un rhizome qui aurait proliféré sur le texte de Feydeau, base déjà foisonnante ! Le baroquisme maniaque de Feydeau, sa pléthore hallucinée, peu de metteurs en scène ont l'audace de l'accompagner en l'exaltant. Et l'on ne voit pas assez que cette oeuvre, comme le dit justement Henry Gidel, spécialiste de Feydeau, est "au fond assez proche de ce théâtre total qu'Artaud appelait de ses voeux et qui n'a cessé de fasciner nombre de nos dramaturges contemporains". Si nos rêves nocturnes sont brefs, nos blagues limitées, nos fantaisies ponctuelles, une expérience théâtrale comme cette mise en scène exubérante d'un Feydeau inspiré nous redonne une enthousiaste confiance dans la créativité emportée par la joie.