par Gérard-Georges Lemaire
Rien dans ses compositions ne peut avoir le charme d’un poisson noir posé sur une assiette pliée en deux de Georges Braque ou de fruits de Louis Valtat. Il n’y a pas de sensualité dans ces modestes instruments ménagers, pas la plus mince dose de sentiment s’attachant à leur apparition. Malgré cela, il n’est pas une de ses toiles qui ne soit pas capable de faire vibrer le spectacle devant ce misérable miracle. Et on a beau s’acharner à trouver dans la poésie un équivalent, les références échappent. Non, ce n’est pas l’écho de Francis Ponge, qui cherchait dans le savon des essences (dans tous les sens du terme) et qui en magnifiait tous les versants et tous les bienfaits. L’objet chez Ponge possède une âme et bien des attributs séduisants. Pour Nathalie Du Pasquier, il ne possède que son image et son image est d’un intérêt presque négligeable. Etre là n’est pas l’être-là de Martin Heidegger, croyez-moi !
La peinture est une drôle de science puisqu’elle a la faculté d’attribuer des qualités insignes à ce qui n’en a pas et de générer l’enchantement à partir de ce quasi néant. Arrêtons-nous sur ce charme. D’où vient-il ? Que signifie-t-il ? Eh bien, il vient de cette science qui est conscience et qui est aussi inconscience qui a le don magique de changer notre vision, de changer notre pensée en profondeur. Son dessein n’est pas de nous faire aimer ce qu’elle met en scène, mais d’aimer ce qui transpire d’elle (c’est une sudation toute alchimique, cela s’entend) dans ces petits décors familiers, qui ne le sont plus tellement sous sa main. Et l’on voudrait posséder ces brocs et ces récipients sans grâce, les posséder et pouvoir les regarder au fil du temps. Elle est parvenue à réaliser l’impossible : bouleverser une hiérarchie de valeurs qui guide nos pas, dicte nos geste, anime nos esprits. La peinture, quand elle advient pleinement, est le moyen d’interpréter l’homme et l’univers. Et ce qui permet d’y arriver n’a guère d’importance, que ce soit Vénus ou un bocal. Cette théâtralité du pas grand chose devient la chose qui nous hante. Toute peinture qui compte n’épuise jamais ses arrières pensées. C’est ce qui se passe chez elle et voilà pourquoi son art regorge de beautés et de résonances plastiques, de méditations et d’énigmes sans fin, produit une délectation qui elle non plus ne s’épuise jamais.
Et, en plus de ça, elle a l’audace de produite des tableaux abstraits, d’un constructivistes reformulé selon ses préceptes, un constructivisme dégradé, mais réhabilité au terme de cette chute préalable. Ces œuvres sont du même tonneau. Elles ne poursuivent pas ou ne critiquent pas les maîtres d’autrefois (ceux de la tradition du nouveau) : elles montrent qu’il est encore possible d’inventer à partir de ces recettes désormais obsolètes, à condition d’avoir le cran de peindre comme elle le fait, avec insolence mais aussi et surtout un amour sans borne pour le geste qui mène sa main des tubes de couleurs au pinceau et du pinceau sur la toile.
Gérard-Georges Lemaire