Giorgio De Chirico, le mystère de la modernité
par Marie-Noëlle Doutreix
Les soixante et une œuvres de Giorgio De Chirico, léguées par la Fondation Giorgio et Isa de Chirico et exposées au Musée d’Art moderne, sont issues de la seconde partie de sa carrière, période qui après les années 1940 est couramment réduite à un retour au classicisme, et à la répétition de ses propres peintures. Le tournant classique s’effectue pourtant dès 1919, où il raconte avoir eu une révélation de ce qu’est la grande peinture, en découvrant le tableau de Titien L’amour sacré et l’amour profane. Après avoir beaucoup travaillé sur le motif et sur les associations d’objets, il décrète finalement que la force d’un tableau réside dans la façon de peindre et moins dans ce qui est peint. Il réaffirme la même année cette nouvelle façon d’appréhender la peinture dans un texte publié dans la revue d’art Valori Plastici à l’intérieur duquel il défend un retour à une technique picturale classique, inspirée des Grands Maîtres.
Le salut aux Argonautes partant, peint vers 1920, apparait représentatif de ces changements. En effet, bien que l’impression d’étrangeté ait survécue, les statues lancinantes se sont muées en nus humains, la perspective semble vraisemblable, et les bâtiments aux arcades démesurées affichent désormais des proportions irréprochables. D’où vient alors cette atmosphère énigmatique, maintenant que les ombres sont à leurs places et que des personnages occupent les lieux ? Peut-être du bateau à voile flottant au loin et évoquant irrémédiablement Ulysse et les mythes grecs, du vide de la place que même les occupants ne parviennent pas à cacher, ou bien de cette implacable immobilité qui transparait malgré les plis du drapé et le drapeau au vent.
Mais doit-on nécessairement comprendre le néo-classicisme comme une révolution, fut-elle régressive, dans l’œuvre de Giorgio De Chirico ? Ne pourrait-t-on considérer au contraire, que malgré l’anti modernité prônée et les écrits provocateurs de l’artiste, celui-ci n’ait en fait jamais renoncé à la modernité ? De la même façon, l’observation de ses peintures met en évidence son amour pour l’antique et le classique, influençant toute sa production, y compris la période métaphysique. Pour cet artiste ayant construit son propre mythe sur son ancrage biographique en Grèce et en Italie et sur les similitudes de sa vie avec les légendes mythologiques ; le retour vers la grande peinture s’inscrit dans une certaine continuité existentielle.