Expérience Pommery 9 , Reims.
« La fabrique sonore »
par Thierry Laurent
Et si l’art contemporain était d’être devenu un art total ? Un art non plus fait d’œuvres ponctuelles, distinctes les unes des autres, mais qui se lisent, malgré leur diversité, comme une continuité non sécable. Un art de surcroît non plus composé d’œuvres regardées avec vénération, mais qui se vivent à travers les émotions qu’elles génèrent ? Et si l’art enfin était devenu un fleuve fougueux exigeant du spectateur une immersion de tout son être, un art de l’environnement, une expérience de vie, une forêt touffue, chargée de correspondances, d’échos, de jeux de miroir ?
C’est un fait, une grande partie de l’art contemporain s’est affranchie du principe d’unicité de l’œuvre pour devenir un art « total », constitué d’environnements faisant appel à la déambulation du spectateur, un art globalisant où tous les sens sont sollicités, les œuvres étant à la fois visuelles, sonores, olfactives. L’art invite le spectateur à s’engager dans une expérience de vie, chaque réalisation artistique faisant appel sur un même lieu aux procédés les plus divers : installations, illuminations, vidéos, musique et sonorités étranges.
Que l’art soit une question « d’expérience corporelle », de respiration, un défilé d’instants de vie, une respiration, est une thématique chère au philosophe John Dewey pour qui « l’essence et la valeur de l’art résident dans la dynamique et le développement d’une expérience active ». Dewey définit l’art comme une « qualité d’expérience », un processus continu et mouvant de sensations, un fluide vital, en éternel renouvellement et non comme une collection de formes et de concepts à jamais fixés pour l’éternité.
S’il est un lieu par excellence où l’art contemporain est avant tout une expérience somatique totale, ce sont bien les caves de la maison de champagne Vrancken Pommery. Pourtant à priori les caves d’une maison de champagne sont par nature assez éloignées du « white cube », le légendaire espace blanc et minimal, où l’art contemporain d’habitude s’expose, que ce soit en musée ou en galerie. Les caves Pommery, dont l’entrée se signale par un immense escalier qui plonge dans les profondeurs du sous -sol, un peu comme si le spectateur s’engageait dans l’antre d’un cyclope, sont constituées de galeries souterraines, où on se perd comme dans le labyrinthe du Minotaure. Enchevêtrement de longs et sombres corridors glacés se prolongeant à perte de vue, le tout évoquant, au choix, les fortifications de la ligne Maginot, les cryptes menant aux tombeaux des pharaons, un décor de James Bond servant à abriter un arsenal d’armes secrètes, les sous-sol du château du comte Dracula, sans oublier les fameuses crayères : vaste puits en forme de cônes donnant très haut sur un orifice étroit produisant une pénombre de train fantôme. Tout semble mystérieux et surdimensionné dans ces caves où s’alignent sans fin bouteilles millésimées et jéroboams : envoûtement garanti.