Dès lors, la démonstration peut être renouvelée pour chacune des œuvres, avec d'autant plus de facilité que le répertoire formel de PML nous devient plus familier. Nous l'identifions immédiatement dans le cas de Moon Square, par exemple, association d'une forme circulaire d'acier peinte en bleu polyuréthane et d'un miroir (2008). Le pouvoir d'expression de l'artiste fonde ici encore l'unité d'un monde singulier. Non pas l'unité d'un espace percevable, d'une somme totalisable qui pourrait être saisie du dehors, mais l'unité procédant d'une cohésion interne se manifestant à la fois par ce qu'elle intègre et par ce qu'elle exclut (« Le miroir défragmente le réel, a expliqué le sculpteur à propos d'une autre pièce comparable, et l'alphabet le refragmente, le réorganise, le nomme. Le miroir explose tout… »).
L'univers de PML pourrait finalement être défini comme celui d'Einstein : il est à la fois fini et illimité car il est composé par des objets esthétiques ayant la propriété d'être « ouverts » à leur manière, c'est-à-dire davantage en « intension » qu'en extension, ou mieux encore : en profondeur. Totalité finie mais illimitée, le monde de Pierre Marie Lejeune est ce que nous disent à la fois sa forme et son contenu, éveillant en nous la réflexion, mais aussi le sentiment d'un achèvement, qui est fort proche de l'admiration.
En liant intimement les propositions formelles de PML et leur auteur, ai-je défini l'objet esthétique comme une subjectivité, un Dasein aurait dit Heidegger ? Le projet fondamental du philosophe constituait le sujet comme transcendance et dévoilait le monde, il pouvait se spécifier en projets singuliers dévoilant chacun un monde propre. Avec lui, il est possible de parler du monde d'un sujet aussi bien que d'un monde de l'objet esthétique. Cela nous suffit : exprimer, c'est pour l'objet esthétique tel que le réalise Pierre Marie Lejeune se transcender vers une signification qui n'est pas une signification explicite assignée à la représentation (PML n'est en rien un artiste figuratif), mais une signification plus fondamentale qui projette un monde, ou mieux, une « atmosphère de monde » que nous reconnaissons dès qu'apparaît l'une de ses œuvres. Chez lui, fait passionnant, l'objet esthétique peut être traité en quasi-sujet parce qu'il est avant toute chose l'œuvre d'un auteur : un « sujet » apparaît toujours en lui. Ainsi nous pouvons parler indifféremment d'un monde de Pierre Marie Lejeune ou d'un monde de l'œuvre. L'objet esthétique recèle la subjectivité du sujet qui l'a créé, qui s'exprime en lui, et qu'à son tour il manifeste. En trente ans, cet artiste a donc su accomplir un projet singulier dévoilant un monde propre. Peut-être est-ce évident, mais l'on m'accordera que c'est rare.
Amélie Adamo