Salvador Dali revient à la mode. Et on redécouvre son travail décrivain, qui est loin dêtre indifférent. Les éditions Sabine Wespieser viennent de rééditer Visages cachés, sans doute son plus beau livre. La parution de Journal dun génie adolescent (malheureux ce titre est un pastiche pour un texte retrouvé par hasard et qui sintitulait simplement « Un journal intime 1919-1920 : mes impressions et mes souvenirs intimes ») qui est inédit en français est une révélation : on apprend à connaître le jeune Dali (il a alors quinze ans) encore au lycée qui tient la chronique des affrontements entre lArmée rouge et lArmée blanche en Russie, suit de près les événements politiques en Espagne (manifestations, coups de main, échauffourées, lock out, grèves
). Il va au théâtre avec sa mère, raconte son Cadaquès, se réveille le matin en évoquant la situation climatique qui lémerveille, parle de ses conquêtes (Lola ou Carmen) avec orgueil et pudeur. Bref on est encore loin du Dali du surréalisme et de toutes les extravagances. Cest un ouvrage surprenant, écrit dans un catalan phonétique, mais qui laisse déjà deviner un style dans tous les sens du terme.
Le petit ouvrage que Jean-Louis Gaillemin a écrit sur Salvador Dalî mérite tous les éloges. Il nest pas aisé de faire un excellent travail lorsquon est corseté par une formule éditoriale aussi prégnante. Il est tout de même parvenu à faire une monographie complète, claire, détaillée, riche de documents et qui noublie aucun aspect de cet artiste, qui a excellé dans la peinture, le dessin, mais aussi dans lart publicitaire, le cinéma et aussi, ce quon a souvent ignoré, en littérature. Dali fut un grand homme de lettres, mais on a retenu le roi de lesbroufe, lamuseur public, linconditionnel à la télévision du chocolat Lanvin. Cet aspect là existait, tout comme son affairisme (ce nest pas pour rien que Breton avait trouvé cet anagramme : « Avida Dollars » !) qui aboutit au désastre que lon sait et qui défraye encore la chronique. Au moins avec Gaillemain, on a entre les mains lessentiel de ce quil faut savoir sur Dali (et, en plus, un beau dossier sur son amitié avec Lorca).
Journal dun génie adolescent, Salvador Dali, préfacé par F. Fanès, tr. P. Gifreu, « Motifs », Le Serpent à Plumes.
Dali, le grand paranoïaque, Jean-Louis Gaillemain, « Découvertes », Gallimard.
Réédité voici peu, ce Paris capitale des arts est un excellent outil pédagogique. On regrettera seulement que sa forme ne corresponde pas au fond : on aurait préféré un « usuel » plus facile à consulter et moins cher. Mais, malgré tout, cest un livre utile pour tous ceux qui veulent découvrir cet immense continent qui est né sur quelques morceaux de trottoir et dinfâmes ateliers de Montparnasse et de Montmartre. Et il est encore plus utile pour ceux qui croient encore que New York a détrôné définitivement Paris : car on en est encore là, hélas
Paris capitale des arts 1900-1968, Hazan.
Le petit essai de Giovanni Joppolo sur lart italien du siècle dernier a le grand mérite de combler un vide assez inexplicable. Certes, les Français méprisent leurs voisins transalpins et connaissent partiellement (et partialement) leur création, quand ils ne lignorent pas tout à fait. Des avant-gardes des années dix (futurisme, métaphysique) jusquà la période confuse qui a suivi lArte povera et la transavangardia, Joppolo fait une synthèse très claire et malgré tout assez complète de ce que lItalie a pu produire au cours de décennies qui ont vu se succéder des courants de toutes sortes (aussi figuratifs quabstraits entre les deux guerres) que des individualités fortes de laprès guerre comme Burri, Fontana, Capogrossi, Merz, Paladino et bien dautres encore. Jen suis sûr, ce livre dinitiation permettra aux étudiants et aux amateurs dart de se familiariser avec ce monde qui reste encore à découvrir.
LArt italien au vingtième siècle, Giovanni Joppolo, « histoires et idées des Arts », LHarmattan.
Rarement peintre fut plus méprisé et vilipendé que Bernard Buffet. Cela ne la jamais empêché dêtre célèbre de par le monde, davoir un musée au Japon et de vendre à des prix à donner le vertige. Lalbum de photographies présenté par Annabel Buffet et commenté par Jean-Claude Lamy engendre une sensation curieuse et troublante : toutes ces photographies - dont beaucoup de scènes datelier savèrent touchantes. Et on se redit une fois encore que Buffet navait pas si mal commencé que cela et que si
En sorte quon ne peut feuilleter ce livre sans la nostalgie de toute une époque et, maintenant quon peut plus le décrier, Bernard buffet est entré dans lhistoire, peut-être par la mauvaise porte. Mais on ne loubliera pas de sitôt car il a été notre Bouguereau, notre tête de Turc, lennemi quon ne saurait abattre. Ces Secrets datelier ont donc cette saveur amère du temps jadis, dun Tout-Paris qui nexistait quà Saint-Tropez. Temps absurde. Temps béni de nos jeunes années quand tout était noir ou blanc. Comme ses tableaux.
Bernard Buffet, Secrets datelier, Annabel Buffet/Jean-Claude Lamy, Flammarion.
Arnulf Rainer est bien connu pour ses visages raturés et maculés. Ses dernières uvres marquent un tournant dans sa démarche. Il a décidé dintervenir sur des images religieuses, en particulier des illustrations de la Bible, des uvres médiévales de la Renaissance et mêmecelles de Chagall sont soumises au même traitement : des surimpressions, des maculages, en somme des actes sacrilèges qui les dénaturent. Que penser de ce genre dintervention ? Essentiellement le sentiment dune panne créative. Ce travail laisse un arrière-goût de facilité et dimpuissance. Mais na-t-on pas valorisé à tort et à travers le débraillé et le relâché au nom de je ne sais quel renversement des valeurs de lart ?
Arnulf Rainer, Musée national message biblique Marc Chagall, Nice/RMN.
Lidée est amusante et même intrigante : que faisaient-ils donc ces artistes que lon prise tant de nos jours quand ils avaient dix-sept ans ? Daniel Buren faisait de la peinture conventionnelle, tout comme dailleurs François Bouillon. Arman aime travailler avec des empâtements et Gina Pane sacrifie à la religion de labstraction
Beaucoup dentre eux ont bien sûr abandonné leurs premières amours pour sinscrire dans lhistoire bien précaire des néologismes infinis de lart actuel. Souvent à tort. Cest une exposition et un livre qui incitent à la méditation. A dix-sept ans, aucun dentre eux nont été touché par le génie, ce nest que trop évident. Et bien peu lont été par la suite (soit dit en passant). Mais pour certains, le talent était déjà au rendez-vous.
Dix-sept artistes à 17 ans, Musée Arthur Rimbaud, Charleville-Mézières/École nationale des beaux-arts.
Avec Le Très Grand Véda, Claude Mollard a écrit un texte oulipien radical puisque toute la narration repose sur le jeu de mots. En sorte que les aventures qui emportent à un rythme échevelé les personnages qui ont eu laudace de monter dans ce T.G.V. prennent aussitôt une tournure délirante et un humour bizarre. Les illustrations de Tomi Ungerer ne font que renforcer cette gigantesque et fantastique fresque burlesque avec son prophète inquiétant, sa cohorte de gastéropodes anthropoïdes et ses visions grotesques de la production industrielle de notre temps. Lexposition qui a eu lieu au musée du Montparnasse a permis de découvrir lunivers grinçante et irrévérencieux de ce dessinateur désormais célèbre. Ce livre a de particulier davoir été le lieu dune symbiose étonnante entre lécrivain et lartiste : lun ne fait quapprofondir le monde délirant de lautre au cours dun voyage au bout de labsurde.
Le Très Grand Véda, Claude Mollard/Tomi Ungerer, Gallimard.
Laventure artistique de Cy Twombly est une des plus fascinantes de la seconde moitié du siècle précédent. Sa relation singulière avec les formes décriture sauvages ou iconoclastes, en particulier le graffiti, instaure dans sa peinture un champ de contradictions qui bouleverse du tout au tout les fondements de la création picturale. Le catalogue de lexposition de dessins présentée au Centre Georges Pompidou témoigne de la richesse de cette expérience des limites du langage graphique. Jusquà la fin des années 80, la recherche inquiète de Cy Twombly repose sur la tension extrême entre une forme de peinture qui se défait et des écritures qui envahissent son espace et lanamorphosent radicalement. Avec le recul, celle-ci na pas pris une ride et demeure déconcertante et la source dinterrogations sur la relation intime et conflictuelle du peintre avec le langage écrit.
Cy Twombly, cinquante années de dessins, Centre Georges Pompidou/Gallimard.
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