Bains Douches,
collectif, photographies de Jean Distel,
Arcadia Editions |
Belle idée que celle des Editions Arcadia de nous convier à faire le tour des bains douches de Paris ! De nombreux auteurs, dâges et de genres assez différents, nous rapportent leurs expériences de ces lieux qui peuvent aller de la plus stricte hygiène à la pure débauche. Comme toujours dans un ouvrage collectif, des choses plaisent et dautres bien moins. Par exemple, je ne suis soulevé denthousiasme par le texte de Woômanh (loin sen faut) alors que je suis assez séduit par celui de Régine Detambel, « La Petite sirène ». Quoi quil en soit chacun y trouvera son bonheur et son ravissement sensuel ou esthétique en tout cas un plaisir littéraire à voyager dans un décor quon croyait familier et qui se pare de toutes sortes de fantasmagories. |
Terriens,
Richard Kalvar, Flammarion |
Le photographe Richard Kalvar sest mis en tête de faire une sorte de voyage dans le cocasse et le grotesque de la vie moderne. Le résultat de ses pérégrinations ? Une collection de portraits qui reposent toutes sur une anecdote humoristique assez peu convaincante. On peut se demander à quoi pensent les responsables de la Maison européenne de la photographie en choisissant ce travail qui nest ni révélateur de notre temps ni proprement fascinant sur le plan esthétique. A force de tout prendre à contre-pied, on en arrive à produire des travaux assez médiocres et auxquels manque lessentiel : le sens de la création. |
Style et design en Asie,
Michael Freeman, Flammarion |
Bali, Bangkok, Pékin et Tokyo : voilà ce qui constitue le dénominateur commun de ces intérieurs privés ou publics qui est dallier lesprit et les traditions des cultures anciennes et un traitement moderne bien tempéré, en général réticent devant la radicalité de lart décoratif de notre époque. Une forte touche nationale caractérise toutes ces créations. Cette conjonction entre lancien et le nouveau est pensée de manière organique et donc pas comme un collage plus ou moins artificiel et forcé. Les exemples présentés par Michael Freeman donnent lespoir que cesse liconoclastie qui sest fait jour en Chine avec la Révolution culturelle, qui a laissé des traces plus profondes quon ne croit dans le monde où communisme et libéralisme se sont fondus en une seule et même entité. Bien sûr, on rencontre de-ci et de-là quelques soupçons de kitsch et parfois des intérieurs dun minimalisme absolu. Mais, dans lensemble, ce voyage en Orient peut faire croire en une rédemption par la grâce dune jeune divinité du goût. |
Axel Vervoodt, intérieurs intemporels,
Armelle Baron, photographies de Christian Sarramon, Flammarion |
Le célèbre antiquaire Axel Vervoordt nous convie à visiter des demeures aussi bien en Europe quaux Etats-Unis. Quont-elles en commun ? En réalité peu de choses, en apparence, parce quon se retrouve devant de beaux bâtiments allant du château médiéval à la gentilhommière, du chalet à la villa au bord de mer. Et pourtant, un fil subtil relie tous ces intérieurs : un penchant pour lesprit « classique » (je ne parle pas ici de néoclassicisme, mais plutôt dun certain bon goût), un relatif dépouillement et des contrastes assez mesurés. Même le collectionneur de tableaux de Basquiat et dobjets « premiers » (on disait plus justement « primitifs », quon le veuille ou non) marie ces oeuvres avec un art certain au-delà de leurs connivences iconographiques. Voilà en tout cas une manière très intelligente de faire vivre des espaces intimes, sans excès, sans effets outranciers, avec délicatesse et subtilité. Il ny a chez Axel Vervoodt ni inclination pour le kitsch ni volonté de surenchère. Cest presque un miracle ! |
BOURLINGUER II |
La Destruction des Juifs dEurope,
Tomes I, II et III, Tr. M.-F. de Paloméra,
A. Charpentier et P.-E. Dauzat, « Folio histoire », Gallimard
Arrêt sur le Ponte Vecchio,
Boris Pahor, préface de Dominique
Dussidor, tr. A. Lück-Gaye & C. Vincenot, 10/18 n° 3977
Derrière ces murs,
Janina Bauman, tr. E. de Morati,
Editions Jacqueline Chambon
Trois wagons à bestiaux,
Zila Rennert, préface et notes
Annette et Jean-Claude Gorouben. |
Il est des voyages sans retour. Mais quand il est question dun peuple entier qui a voyagé à travers toute lEurope jusquau bout de la mort, alors laffaire ne peut pas être si aisément classée. La réédition de lessai monumental de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs dEurope, vient à point nommé rappeler que le génocide entrepris par lAllemagne nazie et ses alliés a été avant tout une organisation militaire, policière, logistique, technique, économique et industrielle dune complexité inouïe qui a nécessité la collaboration de presque toutes les forces armées et dune partie non négligeable de la société civile. Hilberg étudie dans cet ouvrage le moindre rouage de cette mécanique qui dépasse lentendement et aussi son histoire. De la définition des droits des Juifs dAllemagne puis des Juifs des zones annexées et occupées et de leur expropriation de plus en plus radicale à la concentration dans des ghettos pour aboutir à la fin de 1941 au projet dextermination totale, le processus a suivi des étapes allant crescendo, comme sil était mû par une logique interne. La « solution finale » nétait pas inscrite à lorigine de la pensée politique nazie. Elle sest développée dans le plus grand secret et sest appliquée de manière différente en Union soviétique, où lon organisa des tueries sur place dès lentrée en guerre, et ensuite, dans le reste de lEurope, par la création de camps dextermination. La pure description de ce mécanisme suffit à démontrer que cette opération à léchelle dun continent (et audelà avec lURSS) a été rapidement lun des enjeux majeurs de cette guerre.
Les témoignages des hommes et des femmes qui ont été les victimes de ce grand dessein nous ont été connus assez tard ou font aujourdhui lobjet de rééditions. On connaît le remarquable ouvrage intitulé Pèlerins de lombre de lécrivain triestin de langue slovène, Boris Pahor. Son recueil de nouvelles baptisé Arrêt sur le Ponte Vecchio fait partie de cette dernière catégorie. Deux de ces nouvelles, « La Coupole de cendres » et « Ladresse sur la planche », évoquent ce que le camp alsacien de Natzweiler avait pu avoir dindicible : lécrivain a voulu rendre tangible cet indicible, lui restituant sa dimension physique, charnelle, olfactive, tactile et aussi sordide et parfois dune poésie à donner froid dans le dos (ces prisonniers triestins qui se disent que, sils étaient transférés à Dachau, ils seraient plus près de chez eux
). Pahor a voulu cerner ce qui dhumain a pu encore simposer dans un lieu destiné à tuer lhumain avant de tuer lhomme.
Janina Bauman est lune des rares survivantes du ghetto de Varsovie. Avec sa mère et sa soeur, elle obtient des papiers pour pouvoir sinstaller en zone aryenne au moment où éclate linsurrection dudit ghetto préludant à sa destruction totale. Elle raconte son enfance dans un milieu juif bourgeois et assimilé dans la Varsovie de lentre-deux-guerres, lantisémitisme de plus en plus étouffant et linvasion par lAllemagne. Ensuite vient le récit de la concentration de 500.000 Juifs dans deux quartiers de la ville, les raids et la lutte quotidienne pour ne pas finir dans les longues cohortes de malheureux embarqués dans des wagons à bestiaux. Ecrits à partir de carnets que la jeune fille a tenu pendant cette période, ces souvenirs reconstituent cette tragédie à léchelle dune famille et surtout selon la sensibilité de lauteur qui, au milieu de cet enfer, a tenté de poursuivre ses études, daimer et de préserver sa dignité.
Ce qui est relaté dans Trois wagons à bestiaux de Zila Rennert est lhistoire dune autre famille juive aisée. Son histoire commence à Vienne et se poursuit à Wilno et puis à Saint-Pétersbourg, où la guerre puis la Révolution doctobre la rend très tôt consciente de la fragilité de leur existence. Ses parents parviennent à lemmener en Pologne. Une nouvelle guerre les rattrape et ils se retrouvent en territoire occupé par les Soviétiques. La famille échappe de peu à la déportation en Sibérie et cest à Lwow quils voient arriver les forces allemandes. Tout de suite les rafles commencent. Lhéroïne de cette histoire et son mari se cachent à Varsovie. Ils mènent une vie clandestine, de cache en cache, aidés par des résistants, tandis que le ghetto se vidait pour nêtre plus enfin quun champ de ruines. Linsurrection de la ville la vida de ses habitants et Zila et ses proches ont pris la route de lexil. La Gestapo les arrêta et ils se retrouvèrent dans un wagon en partance pour Auschwitz. La chance voulu que ce train ne parvint jamais à destination
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