Du passé faisons table rase
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Comment lart devient lArt dans lItalie de la Renaissance,
Edouard Pommier, «Bibliothèque illustrée des histoires», Gallimard. |
Je dois le dire dentrée de jeu : lessai dEdouard Pommier, Comment lart devient lArt, est indubitablement le meilleur ouvrage sur la Renaissance qui ait été publié depuis longtemps. Il ne nous apporte rien de nouveau et ne se lance pas dans une interprétation audacieuse et risquée, pour ne pas dire acrobatique. De facto, il sest emparé des connaissances accumulées sur la question et parvient à les orchestrer et, par conséquent, à les disposer dans un ordre tel quil nous donne la possibilité de comprendre de quelle manière les artistes ont pu sortir de leur condition subalterne pour devenir les grands acteurs de la Renaissance italienne, en particulier à Florence. Dans le premier chapitre, il explique très bien (et très clairement) que ce sont les poètes (Dante, Boccace et Pétrarque) qui ont modifié le statut de lartiste.
Parallèlement des « triomphes » sont organisés pour célébrer laccomplissement dune oeuvre dart, comme ce fut le cas pour la translation du retable de Cimabue en 1240. Avec une patience de bénédictin et aussi beaucoup de talent, Pommier remonte le puzzle du Rinascimento pour en donner le mouvement densemble, tout en éclairant dune manière originale la surenchère culturelle qui a lieu pendant cette période de retour à lAntique pour jeter les fondements dune modernité politique, économique et intellectuelle. Et ce nest pas la moindre de ses qualités, cet ouvrage ne concerne pas que les seuls spécialistes. |
Mondes lointains et imaginaires,
Francesca Pellegrino «Guide des arts», Hazan. |
Peut-être eût-il mieux valu séparer complètement ces deux domaines, même si, de lAntiquité classique à la Renaissance, ils sinterpénétraient à loisir. Mais il est tout de même déroutant de voir des articles concernant Les Indiens précolombiens, Marco Polo, les volcans, les Juifs, les dangers de la mer, lorientalisme, le japonisme, les chinoiseries, et que sais-je encore, avec les Argonautes, lenlèvement dEurope et la Jérusalem céleste. Bien sûr, on peut considérer cet ouvrage comme un grand puzzle. Cest le meilleur parti à prendre. Mais on a tout de même limpression de nager le plus souvent en eau trouble. Il nen reste pas moins une documentation tout à fait utile et parfois passionnante pour comprendre lart du voyage dans ces temps révolus.
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La Galerie des glaces,
Jacques Thuillier, «Découvertes», Gallimard. |
Cet ouvrage de Jacques Thuillier paraît alors que la galerie des Glaces du château de Versailles vient dêtre rendue au public. Fruit de la collaboration de Mansart et de Charles Le Brun, ce vaste programme décoratif achevé en 1674 avait pour but de présenter au monde une création spectaculaire avec pas moins de 357 miroirs. Et cétait aussi un plafond comportant un programme iconographique. A lorigine, le peintre voulait exalter le Roi-Soleil. Mais son rival Mignard réalisa un projet de ce genre avant lui à Saint-Cloud et Le Brun dut penser à autre chose : il opta pour les grandes batailles ayant marqué le règne de Louis XIV. Ce superbe ensemble a repris vie au terme dune restauration longue et complexe. Peut-être finira-t-on par réhabiliter Le Brun ? |
Odilon Redon et le Messie féminin,
Suzy Lévy, Editions du Cercle dArt. |
Odilon Redon a eu une place particulière dans lart de la fin du XIXe siècle. Suzy Lévy le considère comme un marginal. Cest peut-être là porter un jugement excessif et simplificateur, car il a pleinement participé à lart de son temps. Elle souligne dailleurs quil a très tôt attrapé la maladie du japonisme et subi aussi linfluence dEmile Bernard, si bien que le mysticisme devient un peu son pain quotidien. Mais Edgar Poe a aussi pris pied dans son univers intérieur et le modèle. À mesure que les années passent, il séloigne de plus en plus des préoccupations de ses contemporains. Il a aussi pris le virus de la gravure et du dessin en noir et blanc. Cest le noir qui guide ses pas et tout ce quil crée de puissant en sort. Lauteur de cette monographie a eu le mérite rare de montrer toutes ces influences ; il sest forgé un objectif qui se situe à mi-chemin entre le visible et lindicible. Suzy Lévy a mis laccent sur sa fascination pour loccultisme et les milieux qui se sont passionnés pour la question. Peut-être trop. Mais il nen est pas moins vrai que son étude est un bon moyen pour mieux connaître cet artiste qui transformait en oeil un ballon dirigeable. |
A la recherche de la modernité perdue |
Max Ernst, vie et oeuvre,
Werner Spies, Centre Pompidou. |
Werner Spies a choisi dêtre le spécialiste universel de Max Ernst. Il a déjà organisé des expositions et écrit des livres à son sujet. Il vient de produire un bel ouvrage qui concerne la vie de Max Ernst, une sorte de biographie à travers de très nombreux documents, des lettres, des autographes et des textes de lartiste, mais aussi des photographies et des reproductions doeuvres. Comme toujours, cest la période dadaïste de Cologne qui se révèle la plus passionnante. Il suffit de lire le bref pamphlet quil a commis sur Cézanne. Cest le moment où il montre le plus doriginalité et de liberté, mais aussi de mordant. Ses dessins et ses collages sont construits avec une curieuse méticulosité qui renforce leur charge critique et blasphématoire (enfin, par rapport à la sainteté de lart entretenue par les symbolistes). Le surréalisme va lui offrir de déployer un univers onirique que, parfois, il a décliné de manière abusive. Ses forêts enchantées finissent par devenir des gouffres de répétition. Quoi quil en soit, ce volume offre au chercheur comme à lamateur une somptueuse source dinformation. |
De la mélancolie,
Gallimard. |
La mélancolie est désormais un sujet à la mode. Le succès de lexposition de Jean Clair ny est sans doute pas pour rien. Cest dailleurs lui, avec Robert Kopp, qui a réuni les différents spécialistes qui ont participé à ce colloque qui a eu lieu à la Fondation des Treilles. Lintérêt des intervention est très divers. A commencer par celle de Kopp sur le spleen baudelairien, qui napporte pas des éclaircissements fondamentaux sur le sujet. En revanche, on peut lire avec profit létude dHélène Prigent qui compare la mélancolie païenne et lacédie chrétienne au Moyen-âge. Quant à Jean Clair, il nous surprend une fois de plus en comparant les visages sculptés de Giacometti avec la représentation de la face humaine selon Emmanuel Lévinas.Toujours retors et subtil, il réussit à entortiller un raisonnement théorique dune belle efficacité. |
Yves Tanguy, lunivers surréaliste,
sous la direction dAndré Cariou, Somogy. |
De quoi se souvient-on le plus quand on évoque le peintre Yves Tanguy ? Du jeune homme coiffé à la diable qui place toute son originalité dans un rôle comique (cest ce quon peut penser en voyant la photographie de Man Ray) ou de lauteur de tableaux où, dans un espace désolé, se dressent de très étranges volumes biomorphiques ? Limportante exposition présentée au musée de Quimper aura sans doute permis de faire un bilan de cette oeuvre. Après la période fervente des dessins automatiques, il sessaie à différents styles puis sengage dans une voie qui ne conserve presque plus aucun lien avec la réalité : cest LAnneau dinvisibilité (1926). Cest sans doute le moment le plus heureux de son histoire picturale. Après quoi, il senferme, dès 1929, dans un type de représentation abstraite (cest presque un paradoxe), avec une ligne dhorizon pour donner un volume précis à lespace où ont lieu des relations bizarres entre des objets improbables. Bien sûr, il va évoluer au fil des années, mais sans jamais modifier le dispositif régissant son univers. Il faut attendre les années cinquante pour que ses paysages prennent une vague mais profonde connotation minérale (je pense par exemple à Multiplication des arcs, 1954). Breton, dans le texte quil lui consacre en 1942 souligne, en espérant dissiper un malentendu : « Et dabord coupons court à toute équivoque en précisant que nous sommes avec elles non pas dans labstrait mais au coeur même du concret ». Le catalogue qui accompagne cette exposition est une véritable somme et donc un instrument de travail utile et aussi une belle réalisation éditoriale. |
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En 2005, Gerard Verdijk sest éteint à La Haye. Un hommage est alors organisé au musée de Dordrecht aux Pays-Bas. Et puis une belle monographie est publiée pour remémorer son parcours un parcours qui nest pas ordinaire puisquil ne semble entrer dans aucune catégorie établie ces dernières décennies. Verdijk a beaucoup dessiné. Cétait peut-être même la basse continue de sa démarche. Ses dessins nétaient pas des esquisses préparatoires, mais des oeuvres qui valaient en elles-mêmes. Il ne suivait pas un fil rouge, mais des intuitions et des émotions, des pensées fugaces quil saisissait au vol. Ils prenaient parfois laspect de pages décriture, quelque chose entre la peinture chinoise et lécriture automatique, entre Michaux et Tobey. Dezeuze en a apprécié la « démarche vigoureuse » de dessinateur. Dans des compositions antérieures, il avait déjà utilisé les lettres comme éléments principaux de la composition, à légal de Giacomo Balla, mais dans une tout autre perspective. Sans doute y a-t-il réglé des comptes compliqués avec lécriture. A la fin de sa vie, ses peintures avaient pris un caractère évanescent, avec figures vagues ou des couleurs qui sévanouissent, aussi avec une relation tendue, douloureuse au noir. Quant à la sculpture, elle saffirma surtout comme un jeu entre différents éléments empruntés. Mais ses oeuvres en trois dimensions ne sont pas des assemblages, mais bien plutôt des compositions qui ont beaucoup affaire avec les jardins zen et, plus généralement, avec lart du paysage extrême-oriental. Toutefois, ces objets réunis, arrachés à la nature ou dérobés à lactivité des hommes, avaient à la fois une dimension dérisoire et une dimension critique, une once de poésie et un pouce de philosophie. Car aucune delles nentretenait avec le monde une relation simple ou même contradictoire. Elles possédaient un ton ludique, un rien dérivé de dada, avec un humour tragique, réalisées avec des matériaux pauvres, surannés ou mis au rebut. Leur gravité navait dégal que leur refus de lesprit de sérieux. |
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