Jean Luc Parent,
Collectif, Actes Sud. |
La messe est dite : Jean de Loisy cite Héraclite pour nous rappeler la particularité de Jean-Luc Parant (comme si on avait besoin quil le fasse lintéressé se débrouille très bien tout seul) : « Car, sur la circonférence, le commencement et la fin sont communs ». Certes. Lartiste sest engouffré dans un filon rentable : la propension insupportable de lart de ces derniers temps à litération (le sous-titre de louvrage est éloquent : « de linfime à linfini, et retour »). Parent a choisi de boucler la bouche en manufacturant des boules, des boules sans fin, aussi absurdes que les roulements à bille des usines de lère soviétique. Ses premiers travaux avaient leur intérêt, mais trente ans plus tard, il nous fait perdre la boule (pardonnez-moi, mais devant ce radotage, on ne peut sempêcher de se prémunir dune certaine angoisse par lhumour, même le plus pauvre). Parant nest pas dépourvu de talent. Il a pu écrire des livres qui ont leur dignité (la plupart chez Christian Bourgois) et il a même su recycler les invendus en les incrustant dans ses boules, comme si elles les dévoraient.Ce qui est insupportable, cest que lartiste joue le naïf, le « brut », le péquenot, lignare. Cest un comédien incomparable, je le reconnais. Il a su rouler dans la farine son petit monde, quil doit mépriser hautement. Il reconnaît même avoir exécuté des faux, de Beuys en particulier. Tout est bon à ses yeux pour remplir ses bourses. Quil continue à rouler sa boule comme le scarabée. Le bousier passe et nous, nous ferons mine de rien. Lintelligentsia bon chic bon genre a volé à son secours. Mais je ne suis pas certain que cette industrie parallèle à celle des boules fut un acte de pure provocation. La manufacture très soviétique dinspiration quil a fondée depuis quelques décennies est devenue un holding pour berner le nigaud. De là a lui faire avaler des couleuvres et de lui faire prendre la proie pour lombre
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Champion-Métadier,
Catherine Millet, Gallimard. |
Gilbert Perlein met à juste titre laccent sur le biomorphisme dans loeuvre récente de Champion- Métadier.Cest un peu en contradiction avec ce quil énonce ensuite sur le caractère désincarné de ce travail. Cest encore plus en contradiction avec ce quavance Catherine Millet (bien sûr elle aussi elle nous sort les violons accompagnant le déroulement du tapis rouge de lhistoire de lart contemporain, vue depuis la côte Est des Etats- Unis Pollock, minimalisme comme un chant liturgique). Elle, évoque surtout les « réjouissances chromatiques » et y décèle un espace paradoxal (planéité et corporéité se conjuguant ici). La comparaison avec Michel-Ange me paraît mal venue. Mais cest la conclusion qui nous intéresse le plus car, ne nous y trompons pas, ce peintre est une femme donc : un couplet sur les pulsions du sexe faible péché dans un livre dAnne Decerf : « la pulsion vaginale reste enfouie dans les profondeurs du féminin, comme bruissement sans objet, sans forme, sans figure ». Eh bien, nous voilà prévenus. Par chance, les Timetrackers de Champion-Métadier en disent plus sur la peinture dans son abstraction conflictuelle (aporétique) que sur les humeurs de la gent féminine. |
Franco Passalacqua,
oeuvres de 1998 à 2007,
Skira. |
Le nom de Franco Passalacqua ne dira pas grand-chose aux amateurs dart français, et cest bien dommage. Il a pourtant apporté une conception du paysage radicalement nouvelle. Il a choisi de peindre des forêts comme sil les voyait du haut dun avion. Avec la distance, la forêt nest plus quun nombre incommensurable de cimes feuillues dune grande densité. Au point de produire un monochrome vert. Seule la lumière introduit un mouvement et une imperceptible diversité dans ces étendues quasiment uniformes, suggérant linfluence du rayonnement solaire, bien sûr, mais aussi lidée du souffle du vent dans les branchages. Une double vision sinstaure : dune part, le triomphe de la couleur verte, en soi et pour soi (et pourtant vaguement déjouée), de lautre, celle dune nature qui se déploie à linfini. Le système obsessionnel et itératif quil emploie nexclue pas la poésie. Plus encore, il lui attribue une puissance inattendue. Lhumour nest jamais loin non plus : dans ses compositions récentes, il construit des labyrinthes de verdure avec des formes dhabitations. On ne sait trop sil fait une allusion ironique à Magritte ou sil engendre une métaphore critique de la présence humaine. Quoi quil en soit, cest toujours la peinture qui lemporte sur un éventuel discours. |
LAmour de lart,
musée des Beaux-arts, Agen. |
Jean-Louis Pradel a présenté au musée des Beaux-arts dAgen une sélection personnelle des collectionneurs privés du sud-ouest de notre beau pays. On aurait pu sen douter : le critique aura privilégié les artistes de la figuration narrative. Mais, en fin de compte, il a considérablement élargi cette notion puisquil a présenté des tableaux de Pincemin et de Yan Ping- Mei, qui nont rien à voir avec cette histoire. En tout cas, ce que démontre cette manifestation, cest quil existe encore des collectionneurs en France qui, contre vents et marées, continuent à élire des peintres vivant en France (une grande partie, comme toujours, sont étrangers ou dorigine étrangère), non par esprit nationaliste, mais par conviction que lhexagone demeure un territoire délection de la création picturale. |
Métis,
Vincent Barré,
Hôtel des Arts, Toulon. Catalogue: 18 euros. |
Vincent Barré fait partie de ces artistes qui tentent de trouver une issue à la sculpture. La question est complexe puisquune fois aboli le rapport établi depuis lAntiquité entre loeuvre, larchitecture, la circulation du regard dans lespace et le déplacement physique du spectateur dans lespace, la spécificité de cet art est devenu hautement problématique. Barré, comme dautres (je pense à Tony Grant, à Bernard Pagès, pour ne parler que des Français), cherche des solutions par rapport à la notion de volume dans lespace, un volume qui peut assumer plusieurs identités simultanément. Ses objets semblent souvent de grands fruits tombés dun jardin dEden postmoderne. Ses créations « monumentales » sont (en général) moins convaincantes parce quelles ne sont pas la résultante dune pensée sur lespace ouvert du monde. La plupart des sculpteurs daujourdhui ségarent comme lui car ils font un travail dintérieur. En somme, la critique sadresse plus à une génération quà une personne : Vincent Barré fait une recherche qui est digne de retenir notre intérêt et parfois plus.
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Céramique contemporaine, Un autre regard,
Musées de Châteauroux, Editions du Garde-Temps. |
La Biennale organisée par le musée de Châteauroux en est à sa quatorzième édition. Cest devenu un événement qui « fait référence » pour employer le langage de notre temps. Installée dans lancienne église des Cordeliers (une splendeur architecturale), elle permet de découvrir des créations récentes dans ce domaine bien spécifique réalisées par des artistes et des architectes (ou designers) connus, comme Alechinsky, Jézéquel, Sottsass, Jan Voss, Eric Dietman, Vincent Barré, pour ne citer queux. Parmi les choses les plus intéressantes, je citerai Claude Bouchard, pour sa simplicité, sa subtilité et son efficacité plastique, et Skall, pour son extravagance baroque (cest un jeu sur lidée des chinoiseries). Les Suédois sont un peu décevants. Mais sans doute sont-ils trop muselés par une tradition de la céramique très ancré dans leur pays. Si vous avez manqué cet événement préparé par Michèle Naturel, vous pouvez toujours en retrouver la trace dans un beau catalogue mis en page avec beaucoup de classe. |
Les formes et les couleurs,
Centre dart contemporain Bouvet-Ladubay, Saumur. Catalogue |
La couleur a-t-elle pu être un thème ? La monochromie a-t-elle pu être une fin en soi ? La belle exposition présentée au Centre dart contemporain Bouvet- Ladubay pose ces questions sans y apporter de réponses, laissant le soin aux visiteurs de juger sur pièces. Les monochromes rouges sur fond blanc de Kees Visser ont des connivences avec loeuvre dAurélie Nemours et toutes nous renvoient à lâge du suprématisme. Nicolas Chardon, avec ses rectangles et parallélépipèdes noirs sur fond blanc nous ramène lui aussi à Malévitch. Tout cela est très scolastique ! Mais Sam Francis, Claude Viallat, Benoît Lemercier, par exemple, nous entraînent vers de toutes autres directions. Cette exposition fait un bilan, partiel, partial, dune certaine abstraction. Elle a le mérite de montrer à quel point nous en sommes dans ce domaine.
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Michel de Montaigne en sa librairie |
Les Essais,
édition établie par J. Basalmo, M. Magnien & C. Magnien-Simonin, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
Les Essais de Montaigne,
Alexandre Tarrête, Foliothèque, Gallimard
Album Montaigne,
Jean Lacouture, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard |
Comme le souligne très justement A. Tarrête, les Essais de Montaigne ne sont pas des mémoires et encore moins un journal, comme nous lentendons. Ce ne sont pas non plus une somme à caractère encyclopédique. Ce livre ne ressemble à rien de ce qui la précédé (même sil doit beaucoup aux auteurs de lAntiquité qui lont nourri), pas plus quil ne ressemble à quoi que ce soit qui a suivi. Montaigne est dailleurs conscient davoir entrepris quelque chose dunique. Nécrit-il pas : « Cest le seul livre au monde de son espèce, dun dessein farouche et extravagant » ? Il précise quun tel ouvrage repose sur une forme dintrospection ou plutôt de dialogue avec soi : « Je me suis présenté à moi-même, pour argument et pour sujet ». Toutefois, tel quil formule les choses, il aurait fait son autoportrait à travers différents domaines de la connaissance et de lexpérience. Mais il ne fait rien de manière systématique. Il aborde de grandes questions en en laissant des multitudes dautres dans lombre. Sa démarche est purement idiosyncrasique. Il traite du pédantisme et de la cruauté, de la vanité et de la présomption. Aurait-il eu en vue la conception dun grand traité de morale ? Si cela avait été le cas, il serait resté inachevé. Il aborde des points qui lui tiennent le plus à coeur comme, par exemple, les livres. Plus que des livres, il parle de leur usage, des auteurs quil y fréquente et de ce quils lui ont apporté. Enfin, il se plaît à commenter Virgile, montrant ainsi sa méthode de travail et sa manière de penser. Pour mieux comprendre Montaigne et son temps, il faut alors sen remettre à lexcellent album commenté par Jean Lacouture. Ce dernier montre comment Montaigne a organisé sa « librairie » pour y réfléchir et y écrire : sa table de travail faisait face à ses petites bibliothèques contenant pas moins de mille volumes. Mon rêve, disait-il : « une maison qui parle ». Cest dans cette pièce délection de la tour du château dont il a fait graver de sentences tirées de LEcclésiaste, des pyrrhoniens ou des auteurs sceptiques sur les poutres et les solives quil nous a légué en héritage un livre qui ne sépuise jamais au fil du temps de sa lecture. |
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