En français dans le texte |
Albert Cohen,
Franck Médioni, «biographies», Folio. |
La biographie dAlbert Cohen qua écrite Franck Médioni a la grande qualité de ne pas verser dans lhagiographie. Cet écrivain est entouré dune sorte de culte (cest un peu léquivalent de Char pour la prose) et cela le rend demblée antipathique. Je préfère les hommes de lettres un peu moins propres sur eux par exemple Proust, qui a donné les meubles de sa mère à une maison de tolérance. Médioni nous montre le cheminement de son oeuvre et nous éclaire sur sa relation étrange à la culture hébraïque, plus complexe quil ne semble de prime abord. Son livre se révèle une belle introduction à cet univers que ladulation pour lauteur de Belle du Seigneur nous avait fait prendre en dégoût. Bien sûr lauteur se perd parfois dans des digressions dun intérêt secondaire, en particulier sur la maîtresse de lécrivain qui aurait pu servir de modèle au personnage dAriane. Que de temps perdu pour si peu de choses ! |
Voyage dans le cristal, George Sand,
présenté par Francis Lacassin, Motifs. |
Nous nous sommes forgés un certaine idée de la littérature de George Sand, en dehors de sa personnalité extravagante : celle dun auteur régionaliste quon ne lit plus que par curiosité. Francis Lacassin présente trois récits qui doivent nous faire changer didée puisquils ont pour trait commun de traiter des thèmes fantastiques. Lhistoire baptisée Laura (1865) offre au lecteur le plaisir dune étrange pérégrination dans les glaces polaires, au cours dun voyage extraordinaire quaurait envié Jules Verne à la recherche des mystères du monde physique, car cest ce monde dont lécrivain voulait révéler les mystères. |
Une enfance lingère, Guy Goffette, Folio. |
Guy Goffette, en plus dêtre un poète, se révèle un prosateur intéressant. Une enfance lingère est une petite oeuvre délicieuse, écrite avec un raffinement extrême et pourtant avec une telle légèreté et une telle finesse quelle procure le sentiment de la facilité. Il nous ramène un demi-siècle en arrière pour nous présenter un enfant nommé Simon. Ayant grandi à la campagne, Simon fait un apprentissage du monde des plus particuliers. Et aussi curieux que cela puisse paraître lenfant se découvre de petites manies perverses et un goût prononcé pour le fétichisme un fétichisme aussi véniel que ses péchés avec la petite Jeannine, sa voisine dont il est amoureux. Les scènes dépeintes dans léglise du village sont délicieuses. Goffette a écrit une fiction qui sort du lot, à traits légers et, surtout, avec une très belle écriture. |
Poésies 1,
Mohammed Dib, édition établie et
préfacée par Habib Tangour, Editions de la Différence
Qui se souvient de la mer,
Mohammed Dib, présenté par Mourad
Djebel, «Minos », La Différence |
L oeuvre poétique de Mohammed Dib est considérable. Un premier tome vient de paraître à la Diffférence. Elle se caractérise par une simplicité dans son écriture qui est un délice. Cest là le trait commun qui unit ces textes au fil du temps. Ombre gardienne, son premier recueil, a paru en 1961 avec une préface de Louis Aragon. Ce dernier souligne : « De la douleur naît le chant. Dabord étonné de soi-même. Puis on dirait que pour mieux se reconnaître lhomme assure mieux dans sa main le miroir. Ayant comparé le monde et sa parole, sil poursuit, sur cet instrument donné, cest comme au premier moment pour ne retrouver que ce qui est de sa gorge. Longtemps il écoutera mourir cet écho des profondeurs. » Et cest vrai. Quand on lit LAube Ismaël, ce chant si pur se fait complexe dans ses articulations, dans les mouvements de lesprit transposés. Dun livre à lautre, lauteur fait alterner deux modes oratoires, le premier en utilisant des vers courts, le second, avec un phrasé long. Cette alternance met en relief la capacité de Dib de renouveler son écriture, qui tire profit de son talent de conteur, comme on le remarque dans L. A. Trip. Sa concision na dégale que sa profondeur. A cette occasion, vient dêtre réédité Qui se souvient de la mer. Il sagit dune superbe métaphore de la guerre dans une ville qui a pris laspect dun labyrinthe. Il ny a pas de personnages, mais un narrateur confronté à des foules dangereuses, électriques, changeantes. Cest un livre fascinant et mystérieux, intense et bouleversant. |
Parij,
Eric Faye, Motifs. |
Imaginons-nous que Paris ait connu le sort de Berlin au sortir de la Deuxième guerre mondiale : que se serait-il passé ? Eric Faye la imaginé dans un étrange et beau roman intitulé Parij (le nom de la capitale a été slavisé). Pour rendre le climat dune époque et dune situation, il en a fait une sorte de roman despionnage où un écrivain dissident, Roman Morvan est expulsé dans la zone occidentale. Un agent des services de renseignement de lEst, Bernard Neuvil, sintéresse beaucoup à son cas et fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que son dernier manuscrit puisse passer dans le camp adverse. Tandis que les autorités communistes prévoient de reconstruire à lidentique la zone des Occidentaux dans la grande banlieue, Neuvil poursuit son enquête. Il découvre, en interceptant les lettres qui lui sont adressées, quil a une relation intime avec une jeune violoniste, Clara Banine. Les choses sont plus compliquées quon le pense car on ne comprend plus ce que veut faire lagent de ce régime totalitaire : veut-il semparer de ce document ou veut-il le sauver ? Peut-être a-t-il le sentiment de servir la cause supérieure de la littérature. Quoi quil en soit, ce livre représente labsurdité folle des luttes idéologiques et la manière dont la littérature doit et peut être vécue en ces circonstances. |
Les Exilés de larchipel,
Christophe Mory, Editions du Rocher. Molière,
Christophe Mory, «Biographies», Folio.
|
Christophe Mory a imaginé un archipel dit de A qui aurait été une ancienne colonie portugaise devenue indépendante au milieu du XIXe siècle. Une élection sy déroule et le Conducator est élu. Ses adversaires sexilent, en particulier leur leader, Pedro del Poder, qui sinstalle à Paris. Eduardo, notre héros, devient le conseiller du nouveau président. Mais il doit bientôt rejoindre lEurope avec son frère Adolfo. Dans un perpétuel sentiment dimbroglio politique, nous suivons les destinées de ces deux hommes. Adolfo, qui est un homosexuel fier de lêtre, décide de commettre un suicide étrange : il veut être dévoré par son amant. Cette affaire extraordinaire danthropophagie intervient au moment où le chef de lopposition est assassiné. Ce roman est baroque en diable, allant de rebondissement en rebondissement, touffu, toujours sur la ligne ténue entre le réel et limaginaire, entre ce qui est moralement acceptable et ce qui ne lest pas.
Christophe Mory a également écrit un Molière qui possède une qualité rare : celle de ne pas extrapoler à partir de renseignements très lacunaires. En effet, beaucoup de mystères entourent la vie de Jean-Baptiste Poquelin, ne serait-ce que celui de son mariage. Lauteur sait nous replonger dans lesprit de lépoque, dans lhistoire du règne du jeune Roi-Soleil, dans la vie du théâtre dalors, non en spéculant sur sa légende, mais en se fondant sur son économie il suffit, pour sen rendre compte, de suivre les péripéties de lIllustre-Théâtre - car Molière a aussi été, à sa manière, un homme daffaires. Bien sûr, C. Mory ne donne pas de réponse aux nombreuses questions quon se pose non seulement sur lhomme et lacteur, mais aussi sur lécrivain (on a de nouveau avancé que Corneille, avec qui Molière a collaboré, aurait été lauteur de plusieurs de ses pièces). Cest en tout cas un livre écrit de manière enlevée sans jamais tomber dans la vulgarité ou la facilité et qui nous restitue un homme, pas une marionnette fabriquée par léducation nationale. |
Les Enfants se défont par les oreilles,
Fata Morgana. |
Régine Detambel est un écrivain qui mérite des éloges. Son oeuvre souvent est marquée par la hantise du corps, par les relations organiques, par lobsession des lignées organiques. Dans son dernier livre, Les Enfants se défont par les oreilles, elle dresse un très curieux arbre généalogique puisquelle narre lexistence de huit arrière-grandsparents. Diane, Olympe, Joachim, Donatien
autant de figures pittoresques dont elle fait le portrait fantasmatique, mais sans concession, terribles et drôles à la fois. Ce sont des figures tutélaires quelle saisit dans des moments où triomphe le ridicule, comme si elle voulait démystifier cette grande lignée quon imagine toujours fondatrice. Ces huit récits, saturés de scènes tellement bouffonnes sont des sortes de jeux où la langue fourche et où lhumour noir triomphe dans une épiphanie littéraire. |
Avec vue sur le royaume,
Jean-Pierre Gattégno, Actes Sud. |
Le roman de Jean-Pierre Gattégno, sil navait pas été si pléthorique, aurait pu être un petit bijou. Lauteur y fait preuve desprit, dhumour, dinvention. Son héros se trouve dans un jet du dernier cri et fend les airs avec délectation dans le plus grand confort. Mais son voyage na pas que des aspects délectables : en fait, il est passé de vie à trépas. Sa vie se recompose alors dans une sorte de bousculade baroque et grotesque. Sil est né dans une modeste bourgade (Sambre-et-Meuse !), il est un de ces djidios, de ces Juifs dEspagne qui se sont retrouvés à Salonique quand Isabelle les a chassés de son royaume très catholique. Dans des concours de circonstances toujours extravagants (lauteur nous plonge dans un monde très chimérique), il rencontre Paula dont il tombe amoureux, mais qui ne se donne à lui que le soir où il lui lit La Femme fantôme. En recomposant les derniers jours de son existence, il découvre que cest son vieil ami André qui la tué. Mais, comme tout ce qui se déroule dans cet enchaînement dhistoires sans queue ni tête, on perd le fil et surtout on ne sait plus ce qui appartient au rêve ou à la réalité (ou peut-être encore aux deux à la fois), cette version est remise en question. Tout repose en fait sur la rivalité qui lavait opposé à André pour la possession de Paula quand ils étaient gamins. Paula de toute façon népouse ni lun, ni lautre, mais Alejandro Waldheim. On découvre peu à peu que le jeune homme était le fils dun officier SS qui avait tourmenté son père pianiste quand il avait été déporté dans la forteresse de Terèzin. La vengeance serait la seule raison de ce mariage. Touffu, foisonnant, étourdissant, le roman de Gattégno ne peut se résumer aussi simplement car cest un tourbillon infernal de vérités et de mensonges dans un sentiment de folle course-poursuite avec le temps et la mémoire.
|
Le Corps, le sens, collectif,
Centre Roland Barthes/Seuil. |
Il existe une kafkalogie depuis bien longtemps. La barthologie, bien que de fondation plus récente, na pas moins la peau dure. Le Corps, le sens, recueil de conférences sur lauteur du Discours amoureux est un étrange cérémoniel puisquil sagit de fabriquer du métalangage à propos de quelquun qui sétait donné pour mission dobserver les signes du monde et de les interpréter. Nous avons ici des considérations sur la négation en psychanalyse (André Green), sur le corps des femmes (Françoise Héritier), et sur les « états latents du réel » [sic]. Ces personnalités glosent sur des sujets pour le moins surprenants et Barthes ne semble quun mince prétexte pour des dissertations ou plutôt sur des conversations qui glissent du dermier film à la mode à la pulsion de mort freudienne. Comme quoi rien ne change en ce bas monde parisien.
|
|