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Chroniques des lettres
Chronique de l’An VIII (4)
fin
Le Surréalisme contre la révolution,
Roger Vailland, préface de Franck Delorieux, Editions Delga.

Critique des romans,
Cahiers Roger Vailland, n°24-25, Le Temps des cerises.
Au lendemain de la Libération, bien des comptes se sont réglés. Péret publie en 1945 Le Déshonneur des poètes (en réponse à L’Honneur des poètes publié par les Editions de Minuit en 1943) et Roger Vaillant réplique dans un pamphlet intitulé Le Surréalisme contre la Révolution (1947). Dans sa riche préface, Franck Delorieux explique avec beaucoup de pertinence et en suivant pas à pas textes et déclarations, les relations compliquées et finalement malheureuses de Vailland avec le groupe surréaliste. Le discrédit que Breton a jeté sur le jeune homme est dû à un motif futile, conséquence de son hostilité à toute activité journalistique (ce fut aussi le cas pour son plus vieux « compagnon d’arme », Philippe Soupault). Cette préface demeurera une référence pour comprendre les polémiques qui ont animé le cercle surréaliste et qui feront toujours planer un doute sur leurs visées. Quant à l’opuscule de Vailland, il demeure touchant car il y dévoile ses péchés de jeunesse, un doux mélange de romantisme et de libertinage, de goût pour le merveilleux et un penchant pour la provocation. Dans leur dernière livraison, Les Cahiers Roger Vailland publient une passionnante anthologie des articles qui ont été écrits à propos de ses romans entre 1945 et 1955. Par ses nombreux critiques, on croise Claude Mauriac, Claude Roy, Kléber Haedens, Antoine Blondin, Emile Henriot, Maurice Nadeau, Roger Nimier et même Eugène Ionesco. C’està- dire que l’intérêt suscité par son oeuvre avait largement excédé le cercle des lecteurs des Lettres françaises. Ce numéro est précieux pour la connaissance de l’écrivain en son temps et aussi pour se faire une idée précise de la critique littéraire de l’après-guerre qui, de toute évidence, avait le moyen de s’exprimer plus largement qu’elle ne peut le faire aujourd’hui.
Les Extravagants,
Paul Morand, préface de Vincent Giroud, «L’Imaginaire», Gallimard.


Ce n’est qu’en 1986 que sont publiés Les Extravagants. C’est le premier roman de Paul Morand écrit entre 1910 et 1911. L’auteur en parla de loin en loin, mais ne chercha jamais à le faire paraître. Ce n’est pas « Morand avant Morand » comme l’affirme le préfacier. C’est déjà du roman pur et dur, avec ses thèmes, ses qualités et ses défauts. Bien entendu, c’est une sorte d’apprentissage (du monde, de la mondanité et de l’esthétique) qui se déroule dans de grandes « capitales » de la culture, de Londres à Venise, en passant par Paris. Il en profite pour faire un éloge de la « bohème cosmopolite » et de tous ces extravagants qu’il rencontre dans les salons, les grands hôtels et les palais. C’est à la fois séduisant et exaspérant. Comme la plupart des livres de Morand !
Le Déjeuner des bords de Loire,
Philippe Le Guillou, Folio.


Il est des écrivains qui ont voulu créer autour d’eux un cercle magique où seuls quelques élus peuvent entrer. C’est le cas pour Julien Gracq qui s’est toujours voulu en marge du monde littéraire. Sa réserve est louable. Mais elle a son revers. Ce sont des admirateurs inconditionnels qui l’approchent, comme Philippe Le Guillou. Son essai est un exercice d’adulation superlatif. Ses séjours à Saint-Florent se traduisent par des accès de zélote. On découvre chemin faisant quelques traits de l’univers livresque de Gracq. Mais, en fin de compte, pas grand chose.
Serviles servants,
Tarik Noui, «Laureli», Léo Scheer.


Le roman de Tarik Noui, Serviles servants, est une bizarre extrapolation autour de la figure de Marlon Brando. Mais s’agit-il du véritable acteur américain ou de sa transposition mythique ? Un acteur, surnommé Willard, est engagé par une femme désaxée, Nunca Vélàsquez, pour devenir sa doublure ou, peut-être, son remplaçant. Car il s’agit du Brando d’Apocalypse Now qui est en cause et qu’il s’agit d’éliminer dans un monde où les images de la guerre en Irak font irruption partout dans l’intimité des foyer de cette tragique année 2003.
N.d.T.
OEuvres complètes 2, Virgile,
tr. J.-P. Chausserie-Laprée, préface de Claude Michel Cluny, Editions de la Différence.
Faut-il lire Virgile ? Nous vivons à une époque où l’on considère que l’enseignement du latin et que l’apprentissage de la littérature dans cette langue ne semblent plus utiles. Le monde que les Romains nous ont légué est le socle sur lequel nous avons fondé notre civilisation. Quand on lit les Bucoliques ou les Géorgiques, c’est vrai, les faits et les gestes des dieux de l’antique mythologie donnent le sentiment d’appartenir à un univers éloigné de nous sinon inaccessible. En revanche, le poète nous offre de véritables traités sur la nature et sur sa domestication par l’homme qui sont magnifiques. « Le Chant de la vigne » (Géorgiques, II) dépeint de manière superbe la culture des ceps (« Vois le surgeon stérile en basse souche né ; /Plantele libre, aux champs, en ligne : il fait de même »). Et de brosser alors le tableau d’un monde qui se transforme et d’une Nature qui se plie à la volonté de l’homme. Ce faisant, il embrasse les paysages et les beautés de la campagne. C’est l’essence même de la culture latine que Virgile véhicule. Ces vers sont splendides. Sachons-les goûter comme le vin issu de cette terre conquise.
Anthologie de l’épigramme,
édition de Pierre Laurence, «Poésie», Gallimard.


L’anthologie bilingue d’épigrammes que nous propose Pierre Laurence nous montre comment l’art de l’ellipse poétique a pu se développer en Grèce depuis le VIe siècle avant J. C. L’auteur nous apprend que la littérature grecque ancienne a touché son terme avec une grande anthologie, qui a été le modèle absolu du genre. Il a voulu inclure les poètes latins qui ont excellé dans ce genre (Catulle, Martial, entre autres) et surtout des auteurs de la Renaissance. Il nous montre que des poètes aussi différents que Joachim du Bellay, Théodore de Bèze et Agrippa d’Aubigné et même des penseurs comme Thomas Moore ont aimé employer cette forme concise, expression vive de la pensée qui se condense dans une forme lapidaire. L’épigramme est devenu le modèle de l’esprit français, dans ses meilleurs et ses pires aspects car le mot d’esprit, qui en est la manifestation dans l’art de la conversation, a souvent pris le pas sur la pertinence de l’idée qu’il véhicule.
L’Origine,
Thomas Bernhard, tr. A.Kohn, «L’Imaginaire», Gallimard.

Le Souffle,
Thomas Bernhard, tr. A. Kohn, L’Imaginaire», Gallimard.


Qu’est-ce qui rend l’oeuvre de Thomas Bernhard tellement fascinante ? Sans nul doute une posture radicale face à la question de l’écriture. Ses livres autobiographiques qui viennent d’être réédités, L’origine et Le Souffle, montrent avec clarté en quoi a consisté son aventure littéraire : ce n’est pas le contenu de ses souvenirs qui est remarquable (quel que soir leur intérêt, qui est considérable), mais la façon de les déployer dans l’espace du livre. L’abolition des chapitres et des paragraphes, l’impression de continuum haletant, de phrases portées par une seule respiration malade, constituent les bases matérielles de son entreprise. Salzbourg sous les bombes ou l’hôpital où il se retrouve adolescent victime d’une pleurésie donnent lieu à une forme de pensée qui se métamorphose en une forme d’écriture. Alors le monde change d’aspect, se pliant à la volonté de l’auteur désireux d’en montrer les aspects grotesques ou calamiteux dans une magnificence stylique dont bien peu aujourd’hui sont capables de relever le défi.
Dominique de Roux et Ezra Pound,
Au signe de la Licorne, Exil (H) n°5.


On le sait : Dominique de Roux a consacré une partie de sa vie d’éditeur à faire connaître l’oeuvre d’Ezra Pound. Un opuscule réédite aujourd’hui les textes qu’il a fait paraître dans des périodiques à l’époque où il avait réalisé les superbes Cahiers de l’Herne consacrés à l’auteur des Cantos. On ne peut qu’admirer la passion et le courage de l’écrivain français, mais aussi son intuition littéraire et son grand talent en la matière.
Les Hommes et les autres,
Elio Vittorini, tr. Michel Arnaud, «L’imaginaire», Gallimard.


Les Hommes et les autres est un livre vraiment étonnant d’Elio Vittorini. Publié immédiatement après la guerre (il paraît chez Gallimard en 1947), il relate la terrible bataille que se livrent les résistants d’une part et les miliciens de la République sociale italienne appuyés par les troupes allemandes de l’autre. Vittorini s’inspire de sa propre expérience puisqu’il avait rejoint les communistes dans la clandestinité et avait dirigé L’Unità. Il dépeint Milan en 1944, les coups de mains, la répression menée par les fascistes et les SS. Mais, au-delà, il campe des individus, raconte des destins. Et le fait en utilisant une forme qui a peu à voir avec l’esprit du néoréalisme dominant alors en Italie. La modernité de l’écriture avec des chapitres elliptiques, souvent des dialogues, le tranchant de l’écriture semblent en contradiction avec l’esprit du néoréalisme dont Vittorini est l’un des plus fougueux représentants. Et pourtant, ce livre se distingue et sa réédition nous fait découvrir cet écrivain sous un nouvel éclairage.

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mis en ligne le 03/11/2007
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