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Chroniques
des lettres
Chronique de l’an X (1) |
Chronique de l'an X (1) |
par
Gérard-Georges Lemaire
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Où et
quand ? Berck, Sophie Calle, Actes Sud.
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Avec Sophie Calle, on ne s’ennuie
jamais. Elle prend le train et, ô surprise,
elle rencontre un ami par hasard (comme toujours)
et cet ami c’est justement Jack Lang
qui passait par là. N’est-ce
pas drôle ? Tout cela pour nous raconter
qu’elle se rendait à Berck pour
consulter une voyante. On voit des photographies
du buste et des mains de la voyante qui manipule
les cartes et on lit le merveilleux récit
de ce voyage émaillé de surprises.
C’est tout ? Oui, c’est tout. |
Pompei métamorphose du portrait, Claude Mollard, Editions du Très
Grand Véda.
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Claude-Charles Mollard poursuit sa quête des Origènes, ces
visages humains qu’il traque son appareil photographique à la
main, dans le règne végétal ou dans le règne
minéral. Cette fois, l’essentiel de sa recherche s’est
effectué dans les ruines de Pompéi. C’est une quête
métaphysique, qui s’interroge sur les moments de l’esprit
humain (il a d’ailleurs disposé une bonne partie de ses oeuvres
sur trois rangées pour symboliser les trois temps qui vont de l’apparition à la
disparition dans un cycle philosophique). Ce sont là des créations
intrigantes, qui ne cessent de nous interroger qui montrent de quelle manière
il a voulu développer depuis ses débuts d’artiste tels
qu’on peut les voir dans l’ouvrage publié au Cercle
d’art et présenté par Christine Buci- Glucksmann. Ce
petit volume contient des écrits de Claude-Charles Mollard, de Michel
Sicard et de Pascal Lismonde. |
Permanenza,
Robero Mangu’,
SHINfactory.
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Dominique Stella, Guen Garnier-Duguy, Alain Santacreu et Philippe Daverio
rendent justice à l’oeuvre de Roberto Mangu’ qui n’est
pas suffisamment connu à mon goût en France. Ce grand volume
bilingue permet de se familiariser avec cette recherche originale, menée
en dehors de toute mode et à l’écart des écoles
des décennies précédentes. C’est la grande force
de l’artiste qui peut jouer sur n’importer quel registre plastique
en toute impunité, passant librement du plus abstrait au plus figuratif,
en créant des figures de caractère énigmatique, comme
s’il décrivait une mythologie intérieure. Mangu’ privilégie
les figures légendaire, comme cet homme noir à la tête
d’animal et aux bras démesurés (l’Ombre du début
II, 2007). Ceux qui connaissent son parcours se souviendront de son triptyque
baptisé Corpus Mundi (1991) : il n’a pas dévié sa
route esthétique, ne faisant que lui donner plus d’ampleur
et la vivant comme un combat inlassable avec le visible. |
Istanbul, Orhan Pamuk, traduit
du turc par S. Demirel, V. Gay-Askoy & J.-F.
Pérouse. Folio 4798.
L’Amour au temps des révoltes,
Ahmet Altan, traduit du turc par Alfred
Depeyrat, Actes sud.
Le Pantin, Ahmet Ümit,
traduit du turc par Noémi Cingoz,
Editions du Rocher.
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Avec Istanbul, Orhan Pamuk n’a pas écrit le plus beau roman
sur Istanbul, mais sans nul doute l’autobiographie la plus touchante
d’un Istanbuliote qui raconte sa ville telle qu’il l’a
vécue depuis son enfance. Il la voit se transformer, se métamorphoser,
s’enlaidir et faisant ainsi disparaître les signes tangibles
de ses jeunes années et de l’histoire de sa famille. Dans
ce grand livre qu’il a souhaité illustrer de photographies
anciennes, il nous fait vivre le sentiment de l’hüzün,
c’est-à-dire d’un spleen très particulier qui
s’attache à ce lieu et à nul autre. Et, aux yeux de
Pamuk, cette grande cité, ancienne capitale de l’Empire ottoman
(elle tient la place de Saint-Pétersbourg en Russie) a été aussi
une création littéraire, celle surtout d’Ahmet Rasim,
de Resat Ekren Koçu, de Tampinar et de Yasha Kemal, auteurs connus
ou désormais oubliés (c’est ce qui s’est passé pour
Kemal), mais aussi celle de Nerval et de Flaubert. Personne n’a écrit
ces dernières décennies livre aussi beau sur Paris (Paris
est-il mort avec Léon-Paul Fargue ? qui sait ?) En tout cas, cet
Istanbul est un enchantement parce que le récit privé et
le récit plus vaste de la culture de l’ancienne Constantinople
conquise par les Turcs y font corps et sens. L’Amour au temps des
révoltes d’Ahmet Atlan est un roman qui sort tout à fait
de l’ordinaire. Il nous ramène aux années 1908 et 1909,
dates décisives pour la chute de l’Empire ottoman : en 1908,
des foules menées par le parti des Jeunes Turcs se soulèvent
pour exiger une constitution et la fin du pouvoir absolu du sultan. Un
an plus tard, le 31 mars, des religieux fomentent une révolte pour
rétablir le sultan dans ses droits au nom de l’Islam. Cette
insurrection échoue, mais laisse une marque profonde dans les esprits.
Dix ans plus tard, l’Empire ottoman avait cessé d’exister.
Cette période troublée est la toile
de fond sur laquelle se joue le destin d’hommes
et de femmes proches du pouvoir, mais animés
par des idées plus libres. Alors que souffle
le vent dangereux de l’histoire, Hikmet Bey
est prisonnier de ses sentiments et tente de se suicider
par amour : sa femme, Mephare Hanim, l’a trompé.
Il se remet peu à peu de cette crise, mais
souffre d’une profonde nostalgie. Il vit à l’écart
d’Istanbul fans une solitude recherchée
jusqu’au jour où son père, médecin
personnel du sultan, décide de lui offrir
une compagne. Il s’agit d’une toute jeune
fille que Hikmet baptise, à sa demande, Hediye.
Il entretient avec elle une relation intense et sans
cesse plus profonde. Mais sa blessure ne s’est
pas refermée. Pour sortir de l’impasse
où il se trouve, peu après la mort
de son père, il se résout à se
remarier. Hediye s’empoisonne.
Cette histoire chargée d’angoisse et
de douleur ne fait que donner plus de résonance
aux événements qui ont cours et qui
sapent jusqu’au fondement d’un empire
et d’une forme de civilisation. C’est
une pure merveille. Le roman labyrinthique et pléthorique
d’Ahmet Ümit, le Pantin, est un excellent
exemple de ce que la Turquie moderne peut produire
dans le domaine de la fiction. D’une part,
il souffre, à nos yeux d’Occidentaux,
d’un manque évident de structure, d’architecture
portante de l’intrigue complexe qui se déroule
sous nos yeux. C’est là l’héritage
de la littérature turque ancienne, qui reposait
sur bien d’autres principes que les nôtres.
De l’autre, il joue sur des thèmes et
des ressorts dramatiques très modernes, c’est
ce qu’il puise en Occident. La très
longue et très pathétique histoire
de ce journaliste qui mène une vie pleine
d’insatisfactions, bascule quand il revoit
son demi-frère, qui était censé être
décédé depuis un certain temps.
Ce dernier est mêlé à des affaires
peu recommandables et le malheureux journaliste est
pris dans les rouages d’une mécanique
implacable qui l’entraîne dans un jeu
mortel où il ne peut plus se fier à rien
ni à personne. Il découvre à la
fin que toutes les ficelles de ce drame sont tirées
par un groupe d’hommes de l’ombre qui
constituent l’« État profond ».
La lenteur de la narration, le temps qui n‘en
finit jamais de peser sur le récit, ajoutent à l’angoisse
qui monte de manière inéluctable à mesure
que notre pauvre héros, Adnan Sözkmen,
tombe de plus en plus dans le fond de la nasse et
finit par tuer son frère pour que les choses
reviennent à peu à près à la
normale. |
Poèmes d’amour et
de gloire, Gabriele d’Annunzio, préfacé et
traduit par Muriel Gallot, Cahiers de l’hôtel
de Gallifet. |
Cela fait longtemps que l’oeuvre de d’Annunzio a été discréditée.
Par chance, Jean-François Bory a fait une magnifique traduction
du Nocturne, qui aurait pu changer le mode de lecture du Vate en France.
Mais peu de monde l’a lue. Cette édition parcellaire (hélas)
de la poésie de ce dernier a le mérite tout de même
de nous introduire à son art, d’autant plus que l’édition
est bilingue. Le recueil contient, entre autres, l’Alcyone (1903).
Il y a là des textes superbes comme « le Soir, à Fiesole » ou « La
Pluie sur les pins », où d’Annunzio joue merveilleusement
de pures sonorités et du rythme de la pluie inscrite dans la scansion
des vers. Ce livre est la réfutation de tous les préjugés
qui pèsent sur sa mémoire : une écriture, souple,
limpide, musicale, moderne, « debussienne » oserais-je dire.
Le lecteur pourra découvrir un auteur qui manie les mots avec une
dextérité inégalable et qui est capable de moduler
des sentiments et des pensées avec un raffinement et une force (un
couple en général inconciliable) peu commune. Il faut donc
regarder ces Poèmes d’amour et de gloire comme la meilleure
introduction possible à un poète disparu. |
Tant et tant de guerre, Mercè Rodoreda, tr Bernard Lafargue, « L’imaginaire »,
Gallimard.
La Mort et le printemps, Mercè Rodoreda,
tr. par C. Maintenant & C. Breton « L’imaginaire »,
Gallimard. |
Deux volumes de l’écrivain catalan Mercé Rodoreda,
disparue en 1983, viennent d’être réédités
chez Gallimard. Le premier d’entre eux, Tant et tant de Tant et tant
de guerre, Mercè Rodoreda, tr Bernard Lafargue, « L’imaginaire »,
Gallimard. La Mort et le printemps, Mercè Rodoreda, tr. par C. Maintenant & C.
Breton « L’imaginaire », Gallimard. guerre, ne peut manquer
de faire songer à la guerre civile en Espagne. Mais rien ne l’indique
vraiment en dehors de l’origine de l’auteur. Tout y est traité de
manière métaphorique. Dans sa préface, Rodoreda fait
allusion à la Colonie pénitentiaire de Kafka et à un
poème célèbre de Baudelaire, « Caïn »,
et à la Légende dorée de Voragine : il en est issu
un roman picaresque qui raconte les aventures d’un jeune garçon
qui erre dans un monde rural qui paraît archaïque. Il fait des
rencontres, certaines heureuses, d’autres tragiques au milieu de
combats sporadiques. Si rien de permet de s’accrocher à des événements
concrets, le récit n’en est pas moins intense et prenant.
Il donne une idée du temps de la guerre qui est d’abord un
moment d’anarchie et de triomphe de Thanatos. Très décevante
en revanche la Mort et le printemps, un livre qui n’a pas vraiment
d’histoire. C’est un chant d’amour qu’un adolescent
adresse à sa terre natale. On y retrouve des échos lointains
de Barrès et Giono, pas tant dans le style mais dans les thèmes
fastidieux qui s’attachent à ce genre de choses. Tous les
poncifs du genre y passent, jusqu’à un roman des origines
avec une montagne qui se fend en deux et s’effondre. Trop de métaphore,
trop de poésie bucolique, trop de symboles, oui, vraiment trop. |
Szczygiel, traduit du polonais
par Margot Carlier, Actes Sud. |
La première des nouvelles réunies dans ce volume s’intitule « Pas
un pas sans Bata » et est dédié au grand écrivain
et journaliste Egon Erwin Kish. Ce n’est pas un hasard : l’auteur
se réfère ici à une forme de littérature qui
est issue de la grande période de la presse culturelle autrichienne
qui a eu ses émules en Bohème. L’auteur nous raconte
la saga de la famille Bata. Ce fut une réussite industrielle mémorable.
Mais elle a commencé par un désastre. Tomàs Bata a
monté une affaire avec son frère et sa soeur et se retrouve
couvert de dettes. Il part aux États-Unis et découvre les
nouveaux principes de fabrication. Revenu dans son pays il se lance dans
l’aventure. La guerre lui permet de faire fortune. Avec l’indépendance
de la Tchécoslovaquie, les affaire de Bata sont florissantes. Peu à peu
se précise le portrait de cet homme qui est à la fois un
philanthrope et un tyran, un homme prêt à donner la possibilité à ses
ouvriers de faire des études et de se constituer un pécule.
Il meurt dans un accident d’avion et son fils, Tomik, prend la relève.
Contre vents et marées, l’empire Bata ne cesse de se consolider
dans le monde : ni la crise ni la guerre qui pousse Tomik a l’exil
ne parviennent à le mettre à mal. Avec un humour subtil,
l’auteur révèle les aspects cachés de cette
histoire légendaire. Szczygiel nous dépeint des figures pragoises
en butte avec les avanies du système communiste et exploite de manière
délicieuse les mésaventures de ses héros qui sont
aussi tragiques que comiques. Une petite merveille ! |
Un loup aux aguets,
Abbas Kiarostami,
tr. N. Tajadod
& J.-C. Carrière,
La Table Ronde. |
On ne peut qu’être séduit par ce poète iranien,
qui est aussi cinéaste et photographe. Ses poèmes sont brefs,
ramassés dans une poignée de mots et ne vise que l’essentiel.
Ce sont des pensées ou des images fortes qui traverses les quelques
lignes qui sont imprimées dans le livre. Parfois, on glisse dans
l’imagerie d’Épinal persane quand il nous dit : « La
lune éclaire/Le visage maquillé/D’une vieille prostituée ».
On pardonnera au poète des fautes de goût et des close-ups
intellectuels un peu à l’emporte-pièce… |
En français dans le texte |
OEuvres complètes, II & III,
Albert Camus, sous la direction de Raymond
Gay-Crosier, Bibliothèque de la
Pléiade, NRF, Gallimard. |
Je ne ferai pas à mes lecteurs l’injure
de disserter sur l’Homme révolté,
qu’ils auront tous étudié en
classe terminale. Jean-Jacques Brochier répétait à qui
voulait bien l’entendre que Camus était
un écrivain pour les lycéens.
Il n’avait pas tout à fait tort.
L’intérêt de ces deux
tomes est de nous rappeler l’attachement
de l’auteur pour le théâtre,
où il adapte un certain nombre d’ouvrages étrangers,
les Possédés de Dostoïevski
ou Requiem pour une nonne de William Faulkner
(sans doute sa tentative la plus intéressante).
Il adapte aussi Pierre de Larivey, Calderon
et Lope de Vega. Tout cela est bien scolaire
et ne démontre pas un sens de la scène
très poussé. C’est du
théâtre à texte et à thèse,
sans aucune invention ni dans la langue ni
dans l’idée dramatique. C’est
bien fait, bien écrit, intelligent,
mais ne semble mériter qu’une
interprétation radiophonique. En revanche,
ses commentaires sur des sujets éthiques
(Réflexion sur la guillotine, rédigé à quatre
mains avec Arthur Koestler) et ses nombreux
articles sur la situation en Algérie
dénotent ses qualités d’observateur
subtil et soucieux de la vérité et
de la justice. Sans doute pourrait-on l’accuser
d’un certain angélisme car la
crise algérienne avait des causes
qui remontaient au début de la IIIe
République, qui avait oublié le
projet beaucoup plus ambitieux formulé par
Napoléon III (il voulait donner un
pouvoir réel au bey d’Alger).
De surcroît, il ne pouvait ignorer
que bon nombre de colons n’auraient
pu admettre une égalité de
droit avec les « musulmans ».
Mais il tient des propos qui auraient dû plus
sensibiliser ses contemporains d’une
rive à l’autre de la Méditerranée.
Son courage, sa liberté de ton, son
engagement moral doivent néanmoins être
salués. Et ses écrits de circonstance
sont curieusement plus mémorables
que d’autres ayant une ambition littéraire.
L’Été demeure un texte
tout à fait lisible, bien qu’il
ait eu la tendance énervante à rendre
la vie par des tournures de langage journalistiques.
Camus voulait trop plaire et être apprécié du
plus grand nombre. Il était consensuel
en tout, même en littérature.
Comme Le Clezio il avait toutes les qualités
pour faire un bon Nobel - probité,
défense des droits de l’homme,
indépendance d’esprit, etc.,
sans parler d’une littérature
passe-partout. Mais, comme l’auteur
du Procès verbal, il lui manquait
une profonde originalité comme créateur.
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Passages d’encre, Édouard Graham, préface de Gérard
Macé, avant-propos de Jean Bonna, Gallimard. |
Ce livre est superbe. On pourrait croire qu’il ne s’adresserait
qu’aux bibliophiles endurcis. Il n’en est rien. Il s’adresse à tous
ceux qui se passionnent pour la littérature. Le contexte est celui
d’une bibliophilie exclusive : le grand collectionneur Jean Bonna
ouvre sa bibliothèque à Édouard Graham et le laisse « jouer » avec
les livres, les manuscrits, les envois, les dédicaces, les ex libris,
pour établir de savantes correspondances entre les écrivains,
leurs amis, leurs éditeurs, leurs critiques. Hugo, Nerval, Verlaine,
les Goncourt, Villiers de l’Isle Adam, Flaubert, Fromentin, Mérimée,
Mallarmé, Huysmans, Zola : voilà la distribution de ce drame
qui se joue dans cette bibliothèque inouïe. L’auteur
fait revivre ces textes et ces lettres, tous ces manuscrits et ces titres
imprimés qui semblent désormais appartenir à un passé mortifère.
Il reconstitue, autour d’une oeuvre, non seulement ce qu’elle
contient, mais les liens qu’elle tisse autour d’elle et ce
qu’elle suppose dans la vie de l’écrivain. C’est
absolument passionnant. La lecture de ce gros volume peut être aléatoire,
ou l’on peut s’en servir comme d’une encyclopédie.
Mais les innombrables renvois à d’autres écrivains, à d’autres
ouvrages a quelque chose de borgésien et de bouleversant. Ces Passages
d’encre devrait figurer dans les rayons de la bibliothèque
de tout honnête homme. |
Alias, Maurice Sachs, « L’imaginaire »,
Gallimard. |
Je n’avais pas ouvert un livre de Maurice Sachs depuis très
longtemps. J’en avais conservé un bon souvenir même
si je n’avais pas été ébloui. Le relire aujourd’hui
est plutôt décevant. Comme tous les romans à clefs,
l’intérêt s’émousse avec le passage des
ans à moins que les personnages soient toujours présents à notre
esprit. Arrivée à la trentaine, l’auteur a écrit
ce premier livre, qui n’est pas vraiment un roman et pas vraiment
non plus une autobiographie. Il se sert d’un héros diaphane
qu’il baptise Blaise Alias. Cet orphelin vient d’avoir seize
ans et a reçu une belle somme d’une tante péruvienne
et excentrique. Il se retrouve sous la tutelle d’un homosexuel, M.
Adelair. Il préfère aller vivre chez l’oncle d’un
de ses amis, Montcalm. Et, avec lui, il fréquente le salon de Mme
Charpon, qui se pique de culture. Il égratigne toutes ces figures
un peu ridicules et installe l’histoire dans l’optique du microcosme
des folles. Tant et si bien que le parent de Mme Charpon, un monsignor,
l’envoie au couvent. La tante arrive soudain en France, et prélève
le jeune Blaise de son couvent pour l’emmener à Juan-les-Pins. À ce
moment, il fait la connaissance d’un peintre célèbre,
un juif nommé César Blum (!). Celui-ci a vécu les
heures héroïques du Montparnasse de Picasso, de Derain et de
Max Jacob. Il tente de séduire l’adolescent en vain. Mais
il le prend tout de même en affection et lui conseille de devenir
marchand de tableau… Cet ouvrage paru en 1935 a pris beaucoup de
rides car Sachs, en dehors du fait qu’il fut un être immonde,
n’a jamais eu de grandeur littéraire. |
Le Génie du lieu 3, OEuvres
complètes VII, Michel Butor, Éditions
de la Différence.
Matière de rêve, OEuvres complètes VIII, Michel Butor,
Editions de la Différence. |
Il faut saluer le courage des Éditions de la Différence d’avoir
entrepris la publication des oeuvres complètes de Michel Butor.
Les deux tomes qui viennent de paraître, par rapport aux précédents,
apportent une certaine déception. Pourquoi ? Simplement parce que
l’écrivain s’est vraiment égaré pendant
une bonne décennie. Transit (Gallimard, 1992) est constitué de
notes érudites alternantes avec des impressions de voyage, des réminiscences
et des fragments de poèmes. On a le sentiment que c’est un
gigantesque brouillon en vue d’un travail romanesque jamais accompli.
Dans Transit B, on trouve un travail un peu plus cohérent avec les « Vingt-et-un
classiques de l’art japonais », des 53 étapes du Tokaido
jusqu’aux Cent vues du Fuji. Cette réflexion se poursuit avec
le Japon depuis la France, publié chez Hatier en 1995. L’année
suivante, il achève le Gyroscope, le 5e et dernier volume du Génie
du lieu. Il renoue avec une forme particulière de fiction (même
si elle est fragmentée) dans Troisième dessous, Quadruple
fond et Mille et un plis. Si l’on fait exception de ces dernières
oeuvres, ces deux ouvrages renferment une phase de recherche de Butor qui
ne débouche sur rien de probant. C’est un chantier immense,
pléthorique, bavard et souvent stérile, l’auteur semblant
hésiter entre deux chemins : celui de la connaissance et celui de
la création. Mais la rédemption viendra ensuite avec ses
superbes études sur Balzac. |
Zone, Mathias Enard, Actes Sud.
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Je me souviens d’un excellent roman de Mathias Enard baptisé la
Perfection du tir, paru en 2003 et qui était l’histoire d’un
sniper. C’est une fiction passionnante puisque son auteur s’est
littéralement mis dans la peau de franc-tireur. Dans ce nouveau
roman, beaucoup plus ambitieux, il raconte l’histoire d’un
homme qui ne vit que par la fiction et la pensée de la guerre. Il
s’est surtout illustré dans l’ex- Yougoslavie, participant
aux combats dès le début. Au cours d’un voyage qui
l’emmène de Paris à Milan, puis de la capitale lombarde à Rome.
Il voyage par l’esprit en tout point de la Méditerranée,
de Beyrouth à la Croatie là où il a des souvenirs,
et semble embrasser cette région de notre globe par sa seule présence.
Plus nous le suivons dans ses pérégrinations et aussi son
savoir sur l’Europe (il évoque, par exemple, la division SS
Deutschland, mais aussi la bataille des Dardanelles et le camp de la Risiera à Trieste).
On se perd souvent dans les méandres de ses réminiscences
et de ses entreprises guerrières. Mais on en ressort néanmoins
fasciné devant un être inconnu et pourtant si proche. Le voyage
est pour lui l’évocation de ces grands drames qui nous ont
faits et que nous cherchons à oublier. C’est un livre surprenant
qui repose sur l’enchevêtrement incessant de tous ces thèmes
déployés dans l’espace et le temps. Il y a fait une
description superbe de la bataille de Lépante où les navires
de Don Juan d’Espagne ont défait la flotte ottomane – un
vrai tour de force. |
Sortilèges,
Michel de Ghelderode,
« L'imaginaire »,
Gallimard.
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Le célèbre dramaturge belge a aussi écrit des textes
en proses. Ce recueil de nouvelles met en évidence sa verve surréalisante.
La première d’entre elles raconte l’histoire d’un
homme qui entretient une relation pour le moins étrange avec un
mannequin de cire qui tient lieu d’écrivain. Il ne va plus
le voir pendant un certain temps et quand il veut lui rendre visite, il
ne trouve plus qu’un pauvre pantin démantibulé sous
un drap. Le Diable à Londres est écrit dans la même
optique avec un Méphisto qui s’introduit dans la vie quotidienne
du narrateur. Quant au récit qui a donné son nom au livre,
il raconte une relation très spéciale que le héros
entretient avec une dame en gris et à une fille très malade.
Mais tout ce monde n’est qu’illusion et voué à la
destruction. Peut-être n’a-t-il jamais existé. L’affaire
de l’Amateur de reliques est tout aussi confondante avec cet antiquaire
qui propose à un client une reliquaire remplie d’hosties consacrées,
qui serait un ciboire volé par un Juif en 1269. Plaisantes à lire,
ces histoires demeurent un peu tirées par les cheveux. |
Poésie, Michel Waldberg,
Editions de la Différence.
Ma Boîte verte, Michel Waldberg, « Minos »,
La Différence.
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Cinquante-huit ans de poésie sont renfermés dans ce fort
volume. Un parcours trop mal connu encore (c’est ce que je pense).
Il y a plusieurs oeuvres en une, et d’aucunes assez surprenantes.
En effet, Michel Waldberg peut tout aussi bien – et sans contradictions
profondes – entamer un cheminement mystique (la gnose, le bouddhisme)
et réaliser des expériences formelles de caractère
oulipien. Aux 40 passages dans la nuit obscure (1976) ont pu succéder
les Bouts reliés de remords (1985-1991), qui recueillent des poèmes
visuels dignes des futuristes et des dadaïstes, mais qui sont loin
d’avoir été composés dans une optique nostalgique.
Ces calligrammes dépassés sont de jubilantes digressions
plastiques qui prouvent que Waldberg est un écrivain qui sait jouer
avec la matière des mots et même des lettres. Il tire profit
des divertissements poétiques de ses aînés et pour
une bonne part des surréalistes (« Lits monades » nous
fait songer à « Lit et ratures »). Mais il apporte une
autre vision de ce type de création reposant sur la matérialité de
la typographie et du jeu des mots. Le changement permanent de forme n’est
pas chez lui le signe d’une instabilité ou d’une valse-hésitation.
C’est une façon de se couler dans des formes en fonction de
ce qu’il veut exprimer. Parfois, il a éprouvé le besoin
d’adopter le style de la confession et d’autres fois celui
de s’amuser sans vergogne avec les sons et les sens, comme dans le
Wagon-foudre. D’autres fois encore, dans les Proses du sommeil saint
(1985), il fait sa propre campagne de rêve. Ainsi condensée,
cette oeuvre révèle sa richesse et son originalité.
Lisez-la et quand on vous demandera qui est Michel Waldberg, vous répondrez
que c’est un poète digne d’être lu et aimé.
Et vous lirez alors la très belle Boîte verte : c’est
un récit qu’il avait publié en 1995 et qui est d’abord
l’histoire de sa relation avec son père, le grand collectionneur
Patrick Waldberg et à sa mère, le sculpteur, Isabelle. C’est
une initiation au monde, mais surtout une initiation aux arcanes de la
création artistique écrite avec une immense liberté de
ton et une grande sensibilité. Pas d’effets, pas de rhétorique,
mais un style d’une extrême finesse et, à travers ces
réminiscences, un autoportrait d’une vive délicatesse. |
La Reconstruction, Eugène
Green, Actes Sud.
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Un professeur dans la cinquantaine, marié et père d’un
enfant, reçoit un coup de fil bien curieux : un correspondant allemand
lui demande de le rencontrer. Ce dernier affirme être le fils de
Wenzel Launer, un homme qu’il avait connu pendant un voyage qu’il
avait fait à Munich et où il avait fait la connaissance de
son épouse Jana. Ils se retrouvent au premier étage du Café de
la Mairie place Saint-Sulpice à Paris. Puis, peu à peu, on
comprend la raison de la profonde mélancolie de cet étranger
qui s’interroge sur ses origines. Sa famille vient des Sudètes,
la région allemande du nord de la Bohème. Quand les Allemands
s’emparent de la Tchécoslovaquie en 1938, les Launas s’installent à Prague.
Quand les soldats viennent arrêter des résistants tchèques,
le jeune Johann se joint à eux et est fusillé dans la cour.
Désespéré, le père adopte un orphelin, qu’il
baptise Johann… L’histoire de cet homme est racontée
parfois un peu maladroitement. Mais l’auteur a la faculté de
nous toucher. Cet ouvrage est riche de promesses et nous fait penser qu’Eugène
Green possède un talent qui doit encore prendre son essor. |
Laisser venir les secrets, Mâkhi
Xenakis, Actes Sud.
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Mâkhi Xenakis est artiste et aime Louise Bourgeois. Ce n’est
pas une marque de singularité par les temps qui courent, mais plutôt
une marque d’adhésion à une reconnaissance internationale.
Laisser venir les secrets, Mâkhi Xenakis, Actes Sud. Peu importe
d’ailleurs car le problème est tout à fait ailleurs
: les deux poèmes réunis dans ce volume sont-ils des poèmes
au plein sens du terme ou plutôt des récits lisibles comme
des poèmes ? C’est la question qu’on se pose d’emblée
avec la Petite fille. L’auteur se raconte enfant et raconte ses peurs,
ses jeux, ses fantômes. Dans le texte qui a donné son titre
a ce beau volume illustré, elle relate une histoire, l’histoire
d’une relation prenant un tour tragique, l’angoisse d’être
femme, la peur qui la persécute encore et toujours. Ce n’est
pas mal, mais le procédé me semble inutile. |
OEuvre poétique,
André Laude,
avant-dire d’Abellatif Laâbi,
préface de Yann Orveillon, Éditions de la Différence
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J’ai bien connu André Laude au milieu des années 70.
Puis il a disparu de ma vie la décennie suivante. Puis il a quitté le
monde en 1986. Enfin, il a quitté ce monde en 1995. Il a laissé derrière
lui une oeuvre poétique beaucoup plus importante que je ne l’aurais
imaginé. Son premier recueil, la Couleur végétale,
a paru en 1954 aux éditions Terre de Feu. On y sent l’influence
des surréalistes (qu’il a d’ailleurs fréquenté).
Mais, très vite, la révolte fait une entrée fracassante
dans son oeuvre et la modèle entièrement. Le Testament de
Ravachol (Plasma, 1975) nous offre des perspectives effrayantes : « La
lumière cache des monstres en son sein », nous dit-il. Ailleurs,
il écrit : « l ‘herbe rouge disperse les hermines du
désespoir ». Il écrit une « Lettre à Che
Guevara entre lune froide et fusil » (Vers le matin des cerises).
Mais il compose un tout autre genre de poésie, plus intime et particulièrement
poignante avant de très belles visions : « Certains soirs
Søren Kierkegaard vient prendre le thé dans ma maison/nous
parle de choses et d’autres, d’un paysage du Danemark. » Il
va même jusqu’à s’inventer un passé dans
les 53 Polonaises (Actes Sud, 1982). Il raconte l’histoire d’une
mère qu’il s’est imaginée juive, Olga Katz, et
qui serait morte à Auschwitz : « A Auschwitz/fument encore
les cendres et les os/d’Olga Katz/ma mère. » Sa vraie
mère était morte de maladie en 1938… Il n’en
est pas moins vrai que la poésie de Laude possédait une authenticité et
une intensité incontestables. |
Bourlinguer |
Le Paris de Zola,
Henri Mitterand,
Hazan.
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C’est un superbe volume que nous offre Henri Mitterand. D’une
part, il nous fait parcourir le Paris triomphant d’Émile Zola,
qui est aussi celui du baron Haussmann, celui des Grands Boulevards et
de l’Opéra achevé après la Commune, celui de
la misère la plus noire, des champs de courses, du palais des Tuileries,
des hôtels particuliers des demi-mondaines et des salons privés
des restaurants lancés. Cette découverte s’accomplit
par le texte, mais aussi par l’iconographie : l’auteur a en
effet fait un choix remarquable de tableaux de l’époque, dont
un certain nombre sont assez peu connus (ceux de Giuseppe De Nittis, Jean-Louis
Forain, Raffaëlli, Emile Bernard, Maximien Luce, Henri Gervex, James
Tissot, pour ne citer qu’eux), et d’autres très célèbres
(ceux de Manet, Renoir, Degas…) De nombreux documents (photographies,
affiches, périodiques) viennent compléter cette galerie de
tableaux. C’est ainsi que nous sommes amenés à relire
Zola et à vivre en sa compagnie ce passé qui semble si lointain
et qui se situe à peine à plus d’un siècle de
nous. |
Ce jour-là, Willy Ronis, Folio n° 4801
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Le photographe Willy Ronis commente quelques-uns de ses clichés
(dont certains des plus connus). Il reconstitue le moment précis
où il a pris le cliché, dans quelles circonstances, et en
racontant les sentiments qui l’avaient traversé alors. Comme
il travaille en réalisant des prises de vue rapides, ces éléments
d’information prennent une valeur énorme. C’est un ouvrage
qui se lit avec délice et qui permet de partager les pensées
d’un photographe en chasse dans les rues de Paris ou dans les campagnes
de la France des années 50.
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mis
en ligne le 10/12/2008 |
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