Garache face au modèle, La Dogana |
Claude Garache fait partie de ces peintres mus par un mobile obsessionnel. Cest ce qui a frappé et curieusement séduit ses contemporains. En premier lieu Raoul Ubac, qui écrit lors de son exposition à la galerie Maeght : " Cétaient sans exception des torses féminins: nus dun rose à la fois subtil, agressif et déroutant. Jétais intrigué, puis captivé par cette peinture qui sans se lasser reprenait le même thème pour le réaliser dans le même ton rose, invariablement. " Des poèmes, et non des moindres, comme Jaccottet, Bonnefoy, Dupin, des hommes de pensée comme Starobinski (je ne cite là que les plus connus) ont subi une fascination tout aussi puissante. Les oeuvres de Garache qui font songer à des sanguines parvenues dune époque lointaine nexercent pas sur moi un tel pouvoir. Mais le beau livre édité par Florian Rodari et ses amis est une belle réussite qui est aussi un beau plaidoyer en faveur dune entreprise artistique méritant dêtre discutée. |
Baselitz,
Fondation de l'Hermitage
La Bibliothèque des Arts |
Certaines gloires peuvent paraître usurpées. Le catalogue de lexposition de Hans Georg Baselitz à la Fondation de lHermitage à Lausanne me fournit loccasion rêvée pour poser le problème dune oeuvre reposant sur un seul et même principe répété à linfini. Baselitz, on le sait, a renversé le tableau si bien que tous les éléments figuratifs se retrouvent à lenvers. Bien. Il le fait en 1969 avec le Portrait dElke et il le fait encore en 2004 avec Zéro. Voici une réflexion plastique qui est conduite pendant plus de trois décennies sur une base identique. De nombreuses variations stylistiques apparaissent au fil du temps, mais il faut toujours voir ses figures la tête en bas. Cela ne semble pas probant. Cest une pure et simple marque de fabrique qui napporte pas grand chose à lintelligence de sa peinture. Elle sert en fait à masquer une indigence dans la facture de ses tableaux. Bad Painting direz-vous ? Oui, de la mauvaise peinture qui, par un jeu pervers dultra modernisme (le sacro-saint renversement des valeurs) est élevée au rang de bonne peinture. Et cela fonctionne. Très bien même. Trop bien. |
Germaine Richier,
Valéria De Costa, Norma Éditions |
Germaine Richier fait partie de ces artistes que lon évoque souvent et que, en fin de compte, on connaît bien mal. Disparue en 1959, elle incarne la transition entre lhéritage de Rodin et de Bourdelle et la nouvelle sculpture (celle qui saffirme au sein du Nouveau Réalisme). Valéria Da Costa brosse un portait concis mais précis de cette femme dexception et nous introduit à son oeuvre. Elle met également laccent sur ses relations littéraires et sur ses écrits, chose souvent évitée au nom de lapartheid des disciplines. Cest une bonne monographie, sérieuse et bien documentée. |
Lil, la main,
Françoise Janicot, Al Dante |
Dans le domaine de la performance, Françoise Janicot a taillé sa place avec ses Encoconages auxquels elles a donné dultérieurs développements. Dans louvrage publié par Al Dante, elle présente une petite anthologie de ses photographies, en substance des portraits de Burroughs, Ginsberg, Gysin, Anne Waldmann, Bernard Heidsieck, John Cage et ben dautres figures des avant-gardes des deux côtés de lAtlantique. Cest une introduction à sa démarche qui aurait dû voir le jour il y a bien longtemps. Au moins Laurent Cauwet a eu le courage de pallier à ce manque. |
Bye-bye la perf.,
Julien Blaine, Al Dante & Adriano Parise. |
Julien Blaine incarne à lui seul une vision de lart français (et pas exclusivement français) qui se manifeste sous les formes les plus variées (du moment quelles ne répondent plus aux critères et aux valeurs de lart ancien) : la performance est pour lui son mode dexpression de prédilection. Alors un livre nest plus que la trace dévénements éphémère, leur chronique. A mes yeux, Byebye la perf., qui vent de paraître chez Al Dante et Adriano Parise, est une sorte dautobiographie par limage, cela va de soi, mais aussi par le texte : le livre contient des photographies de lartiste en pleine action, mais aussi des écrits, des témoignages, des documents. On découvre Blaine acteur dune forme de théâtre bouffe qui est fait pour être une oeuvre photographique, et poète dun art qui est lexercice pur de la dérision et qui se change en une poésie visuelle ou concrète. Post-dada, Blaine ? Cest indubitable. Mais cest mieux que ça : cest un jeu continuel entre les différents genres qui coulissent les uns dans les autres, avec une jubilation féroce. Toutes ses créations sont récentes. Elles résument et condensent un art du comportement qui naccepte pas le grand sérieux et lennui abyssal du post-néo-conceptuel. Nous devrions lui en être reconnaissant, nest-ce pas ?
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N.d.T. |
Théâtre de lInde ancienne,
sous la direction de Lyne Bansat-Bourdon,
Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard |
Au fond, nous sommes bien incapables de nous faire une idée précise du théâtre indien. Il faut bien le reconnaître, à moindre dêtre un habitué des éditions Maisonneuve & Larose ou un spécialiste des langues du subcontinent, ce théâtre est une pure chimère. Le volume préparée par les soins de Lyne Bansat-Bourdon peut nous aider à combler ce vide vertigineux. Loin de moi lambition de rendre compte de ces pièces anciennes. Lun des auteurs dramatiques les plus réputés, Kâlidâsa, a vécu au IVe siècle et le première traité sur le théâtre remontait au IIe siècle ! Et comment ne pas se perdre dans ce dédale de dieux et de références au rituel bouddhiste ou hindouiste ? Mais il nen demeure pas moins que les textes de ce Kâlidâsa sont dune poésie très pure et que les traducteurs ont fait des efforts pour réduire au minimum les référence ésotériques qui en entraveraient la lecture. Lauteur de cet ouvrage nous fournit les clefs principales de cette forme dart dramatique : lalliance du chant, de la musique, de la mimique et de la danse ; labsence de tragédie ; le mélange des textes en prose et des textes en vers dans la même pièce; le mélange de la langue sacrée (sanskrit) et des langues vernaculaires (prâkrits). Autant de raisons de croire (et il y en a dautres) que ce théâtre est à cent coudées du nôtre. Mais cela ne signifie pas quil ne puisse pas résonner dans nos coeurs car sa structure et son mélange délibéré des genres le rapprocheraient de la théâtralité contemporaine. |
Les Livres de ma vie,
Henry Miller, tr. Jean Rosenthal,
L'Imaginaire, Gallimard. |
Jai eu entre les mains, pendant mes études, lautobiographie de Henry Miller. Elle ne mavait pas laissé un grand souvenir. Comme elle vient dêtre rééditée, jai voulu vérifier si ma mémoire oublieuse ne mavait pas joué un mauvais tour. Force ma été de constater que le style de lécrivain américain est si peu consistant, que sa phrase épouse les courbes interminable dun bavardage qui ne se termine jamais avec cette manie du " parler vrai " et de la souveraineté de la langue parlée sur la langue écrite. Miller paraissait devoir sémerveiller de tout enfin, de tout ce quil pouvait, sentir, penser et dire quil était capable de disserter sur de menus détails dun intérêt très relatif. Et, en dépit du caractère résolument révolutionnaire quil veut donner à ses idées cela se traduit par ce chapitre intitulé " Lire aux cabinet " qui est une apologie de la lecture somme toute classique avec cette note dhumour doutre- Atlantique qui me laisse de marbre. Quand on tente de savancer au coeur du livre, jai été consterné dy retrouver lardent éloge de Jean Giono, apôtre de la liberté et du "chant du monde". Et laissons de côté ses élucubrations sur Krishnamurti cétait un effet de mode chez les intellectuels de sa génération. Et laissons aussi de côté son étude sur Rider Haggard, bien plus pertinente, mais qui est une question qui reste résolument marginale. Le seul essai de longue haleine est celui quil consacre à Blaise Cendrars. Et là, il ne nous apprend rien, ne nous surprend en rien. Miller est un autodidacte (rien de plus honorable jusque là) mais très complexé et qui veut montrer quil nest pas un mauvais sujet en littérature. Avec Cendrars, on touche aux confins de la mythologie imbécile de quoi vous dégoûter de lire lauteur de LOr. Voilà donc un pavé en fin de compte bien mince où Miller met en oeuvre toute lhypocrisie dune naïveté à la Mark Twain pour démontrer quel grand lecteur il a été. Quand on referme le volume, on ne peut pas en être convaincu tant il a débité de lieux communs et de gentilles petites banalités sur ses grands aînés. |
Le Genre féminin,
Joseph Roth, traduit de l'allemand et présenté par Nicole Casanova, Liana Levi. |
Loeuvre de Joseph Roth paraît être en proie à une contradiction criante. Dun côté, il écrit des romans qui évoquent avec une ironie mordante le déclin de lEmpire austro-hongrois, non sans une profonde et paradoxale nostalgie. Cest ce qui émane de La Marche de Radetzky, de La Crypte des capucins et du Conte de la 1002e nuit. De lautre, il y a une perception politique de ce qui fut son présent, avec une incroyable prescience, du danger qui menaçait lEurope, en particulier Hôtel Savoy et surtout La Toile daraignée. Et puis il y a un troisième volet, disons " religieux " où se joue une autre contradiction : ses origines juives et sa conversion au catholicisme. La Légende du saint buveur en est la plus belle expression. Au-delà ce qui est le coeur de son oeuvre, il faut prendre en compte son énorme production journalistique. Vienne a inventé une authentique littérature de limmédiat souvent véhiculée par les périodiques. Elle a pris des formes très diverses avec Peter Altenberg, Anton Kuh, Karl Kraus et Alfred Polgar, pour ne citer queux. Roth a commencé sa carrière dans la presse en 1918, par accident et cest dailleurs par ce biais quil est devenu écrivain. Toute excitait sa curiosité, même ce qui donnait limpression dêtre insignifiant car il savait faire parler ces choses de rien. Il a laissé ses carnets de voyages à travers toute lEurope, de la Russie à lItalie fasciste et son extraordinaire exploration du monde juif (Juifs en errance). Aujourdhui ses écrits sur la femme viennent dêtre traduits. Quon ne sattende pas à une vision de léternel féminin ou une quelconque théorie idéale. Il ny a ni système ni même la volonté de mettre en avant sa stratégie dans la guerre des sexes. Non. Il nous livre des portraits de femmes, toutes différentes, quil croque dans la rue ou au cabaret, dans un campement tsigane, lors de concours de beauté, dans les bouges sordides de Berlin, beaucoup au music hall, mais au cours de réceptions comme dans sa très belle et très caustique " Lettre à une belle femme en robe longue". Roth a passé son temps à épier ces femmes avec un feint détachement mais toujours avec une pointe dhumour grinçant. Il sest plu à dépeindre aussi bien les orchestres de dames, égratignant au passage les " abominables suffragettes ". Malgré tout, il a été le témoin une réalité indéniable : la naissance de lémancipation féminine. Il na pu sempêcher dêtre fasciné (même sil en restait amusé) par limage de la femme ultramoderne, quincarne laviatrice qui a pour contrepoint un peu ridicule la classique diva. Cet homme si laid, vieilli avant lâge, ravagé par lalcool, mais qui a eu tant dattrait pour les femmes (cest ce quune de ses maîtresses affirme), a voulu faire oeuvre dethnologue en la matière. Une science purement idiosyncrasique, certes, mais ô combien efficace. Le jeune Josephus (cest ainsi quil signe ses premiers articles) ne trahit pas ce quil pense de ses innombrables modèles. Il leur donne un sens. Quand il fait le récit dun défilé de mode en 1920, il ne fait pas le portrait des mannequins, mais parle des vêtements quils endossent et des accessoires quils portent. Ici, il se limite à décrire leur attitude hiératique quil saisit : " Les visages des dames sont étrangement impassibles. Elles sont là comme des procurateurs. " Chez la loueuse de lit, cétait lodeur doignons et les yeux rougis de larmes qui ressortent. Quant à Anna Witte, la fade employée de la papeterie, elle est le prétexte à prolonger une philosophie du vêtement, appliquée à une femme réservée et soupçonneuse. Au fond, Roth a aussi entrepris de cerner la nature de lérotisme de son temps, qui ne passe pas nécessairement à ses yeux par les mauvais lieux ou par le libertinage, mais par le truchement des magasins de confection, des vitrines de mode et par ces femmes qui ont les activités les plus innocentes et les plus banales. Cest peut-être le désir de la femme, plus que la femme elle-même, qui loccupe, car la femme nexisterait à len croire que sublimée par les inventions et les artifices selon les lois communes dun fétichisme bien tempéré. |
Walter Benjamin,
Tilla Rudel, Destins Mengès |
Walter Benjamin a été lun de ces intellectuels allemands ou du centre de lEurope qui, faute dobtenir un visa au consulat américain, alors quil est émigré depuis plusieurs années, ballotté entre plusieurs exils hypothétiques, se voyant refuser la nationalité française en dépit de lappui de nombreux intellectuels renommés dont Louis Aragon, na dautre choix que de franchir les Pyrénées à pied. Il se retrouve à Lourdes avec dautres personnes qui se trouvent dans la même situation, comme Franz Werfel et sa femme, Alma Malher. Werfel fait un voeu: sil peut passer les montagnes et rejoindre Lisbonne sans encombre pour prendre le paquebot qui lemmènera en Amérique, il a juré de se convertir au catholicisme et décrire un livre sur Bernadette Soubirous (il le fera puisquil arrivera à bon port). Benjamin préfère se suicider à Port Bou où la douane espagnole veut le renvoyer en France. Tilla Rudel raconte quelle fut lexistence de cet homme exceptionnel, né à Berlin et amoureux de la culture française (il a écrit sur Baudelaire et sur Paris). Merveilleusement illustré, cette biographie attendue rend justice à lauteur de Sens unique et de lOrigine du drame baroque allemand. |
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