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Dialogue en rond entre un sceptique et une convaincue |
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par Jacques Monory et Isa-Lou Regen |
I-L R : Guillaume Durand a mis un tableau de toi sur la couverture du livre quil vient de publier. Cest un tableau bleu bien sûr. Le titre du livre est " La peur bleue ". Et toi qui as toujours peur, tu as toujours peint en bleu
J M : Je nai jamais employé le bleu en me disant " tiens, cest la couleur de la peur, donc je peins en bleu ". Au contraire, je lai employé comme la couleur de la protection. Quand je peins bleu, jai du plaisir, cest du bleu : ça méloigne de ce que je fais. Cest comme si je me mettais dans un voile bleu. Il se passe un massacre derrière la vitre bleue, et moi je suis protégé des balles. Le bleu nest pas pour moi la couleur de la peur. Pour un de mes tableaux faits consciemment en bleu, jai pris une phrase dEdgar Poe : " quoi que lon voie ou que lon ressente, ce nest jamais quun rêve à travers un rêve. " Je trouve ça tout à fait juste.
I-L R : Tu as le sentiment quen fait tout est illusoire ?
J M : Oui, et cette illusion peut me blesser. Warhol, lui, pensait la même chose, mais il nen faisait pas un drame : plutôt un constat. Il ny a quune égalité entre les hommes, cest que nous allons tous paniquer au moment de mourir. Alors, quon ait trouvé le coup du bleu ou autre chose
ça ne changera pas grand chose.
I-L R : Tu penses beaucoup à ce moment là ?
J M : Oui, parce que jaimerais bien que je ne sois pas lamentable.
I-L R : Que veux-tu dire ?
J M : Être lamentable, cest paniquer absolument. Mais heureusement les choses sarrangent en général, parce que tu es si faible que tu nas plus la force de paniquer, et puis maintenant, ils arrangent tout
Mais laissons cela : cest vrai que je suis un peu obsédé par la mort, ou bien tout ce qui tourne autour. Je me souviens qu'à la Biennale de Venise 1986, javais fait un travail entre le " putrescible et limputrescible " : toujours la même chose. Cétait dans la section " Space ", celle-là même où lartiste chinois Wen Ying Tsai présentait une pièce extraordinaire. Cétait de leau qui tombait de très haut, et devant il jouait du violon. La manière de tomber de leau changeait avec les inflexions de la musique. Les vibrations produites par le son du violon modifiaient le cours des gouttes deau : cétait fascinant, très beau. Beaucoup plus beau ma-t-il semblé que mon affaire putrescible !
I-L R : Comment travailles-tu ? Tu laisses reposer les choses ou tu aimes bien les finir tout de suite ?
J M : Quand je fais un tableau, je nen fais pas un autre. Il ne rentre quune chose à la fois dans ma tête. Létat dans lequel jai toujours peint, cest celui du type qui est abandonné par tout le monde et qui na donc à se préoccuper de personne. Cest peut-être pour cela que jai un mal fou à réaliser une commande, cest vraiment une plaie pour moi à chaque fois ou presque. Les commandes qui mont intéressé sont celles qui correspondaient à ce que javais envie de faire à ce moment là. Par exemple, le patron de la maison de couture Balenciaga ma proposé un jour de travailler librement sur le thème de Narcisse. Ce thème est très beau. Jai représenté Gary Cooper en bretelles sur un canapé, avec un revolver
Mais il ne faut pas se détourner de lessentiel.
I-L R : Lessentiel, cest par exemple quoi pour toi ?
J M : Faut pas dire de conneries, attends
Ce nétait pas essentiel que je passe la moitié des dix premières années de ma vie professionnelle à gagner ma vie dans un milieu qui me convenait, celui de lédition et de la photographie. Cétait du plaisir. Mais jai peut-être eu tort de me laisser aller à ce plaisir qui nétait pas essentiel. Le temps est mon ennemi. Je ne voudrais navoir fait que lessentiel, mais jai eu trop peu de temps. Dun autre côté, si je navais pas travaillé dans lédition et la photo, jaurais été moins à laise avec la peinture et je naurais pas fait exactement la même peinture (ma peinture est à base de photos). Alors ce quon croit être une perte de temps nen est peut être pas une et ne ta pas détourné de lessentiel. Tout cela est mystérieux.
I-L R : Cest très sage, ce que tu dis. Cest déjà la sagesse !
J M : Je finis par avouer que je ne comprends rien. Cest ça la sagesse ? |
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Jacques Monory et Isa-Lou Regen |
mis en ligne le 15/10/2002 |
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