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Dossier Michel Tyszblat
Pourquoi nous avons besoin de Tyszblat |
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Premièrement, « chaque artiste, comme créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne. » Tyszblat laisse transparaître sa personnalité complexe, partagée entre des aspirations concurrentes, mais aussi non dénuée dhumour.
Deuxièmement, « chaque artiste, comme enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à cette époque. » Tyszblat est de ceux qui ont fait passer, à la suite de Fernand Léger, de simples objets du monde de la cité moderne dans lunivers de lart. Troisièmement, « chaque artiste, comme serviteur de lArt, doit exprimer ce qui, en général, est propre à lart. » Tyszblat sait que lartiste peut utiliser nimporte quelle forme pour travailler, et il use largement de cette liberté, mais en aucun cas il ne se rapproche de lanti-art, une des formules les plus répandues aujourdhui pour faciliter la réussite dans le « monde de lart ». Il sait tout aussi bien quil nest pas nécessaire, pour exprimer ce qui est « propre à lart » davoir défini préalablement ce que cest que lart, même si cest possible en relativement peu de mots (« les lois éternelles de larchitecture, de la sculpture et de la peinture pourraient tenir en une ridicule petite plaquette » écrivait André Lhote). Ce qui fait quil y a de lart (ou non) séprouve, et ne se prouve pas.
Michel Tyszblat ne souhaite rien nous prouver, mais il nous appartient déprouver, devant ses tableaux, la présence de lart et le plaisir quil procure. Lexpérience est devenue plutôt rare de nos jours, dans un monde qui se moque de lart. Il est frappant de constater que là-dessus, Kandinsky avait vu lessentiel dès 1912 : « Il nexiste pas dart qui soit considéré plus à la légère que lart plastique
» On est tenté dajouter aujourdhui : « y compris par ceux qui se disent plasticiens ». Avec discrétion (mais aussi avec humour), avec détachement (mais en même temps avec obstination), Tyszblat nous donne des raisons de prendre lart au sérieux. Cest pourquoi notre temps privé de repères a besoin dartistes comme lui.
Aux moments les plus cruciaux de lhistoire, arrivent des peintres qui rendent confiance à leurs contemporains désorientés. Nest-ce pas ce que fit Paul Klee, au lendemain de la Grande Guerre et après le déferlement des avant-gardes dites historiques davant 1914 ? La dernière série de Michel Tyszblat, quil navait pas encore baptisée en novembre 2004, ne me semble pas rappeler par hasard la problématique du Klee des années 20. Premier détail troublant : Klee sétait mis en tête de faire avancer lart de peindre quil jugeait en retard par rapport à lart musical. Rappelons à nouveau que Tyszblat est musicien, et quil ne peut pas ne pas lêtre aussi quand il peint.
La solution de Klee devait se trouver dans la conciliation entre l « enracinement terrestre » et l « intimité avec le cosmos » : elle passait par le symbole, ce qui faisait que les objets plastiques de Klee nétaient jamais totalement abstraits. Dans des tableaux récents comme La Poursuite ou Le Départ, jamais Tyszblat na poussé aussi loin sa manière très personnelle dassocier des éléments figuratifs et abstraits, mais ce nest pas encore lessentiel.
La volonté de lier totalement le subjectif (le moi) et lobjectif (le monde) aboutissait chez Klee à des figures qui se situaient dans un entre-deux séloignant optiquement de lobjet sans cependant le contredire définitivement. Dans Les Vases dAphrodite de 1921 par exemple, la superposition de plans de tons différents de bruns et de beiges suggérait les formes de deux vases de part et dautre de la tête dAphrodite. La figure féminine, qui semblait danser, émergeait du processus même de construction de la surface. Regardons maintenant les tableaux de 2004 de Tyszblat qui paraissent avoir des fonds noirs. Sommes-nous si certains que ce sont des fonds ? En fait, le peintre a opéré des trouées dans ces peintures, qui engendrent des espaces nouveaux. Non pas : des objets figuratifs et non-figuratifs sur fond noir, mais bien : des formes ambiguës dont certaines apparaissent comme transparentes. A travers elles, le regard va au-delà du « fond » qui, de ce fait, nest plus un fond mais plutôt un agent de liaison entre les formes. Aussi lucidement quun Braque, Tyszblat ne peint pas seulement des formes mais « ce quil y a entre les formes » en même temps que, comme Klee mais de manière différente, il réussit à superposer les plans et à modifier notre perception de lespace.
Nous voici vraiment devant l accomplissement dune odyssée picturale. On veut bien croire Tyszblat quand il dit que lespace pictural est important pour lui. Nest-il pas vrai que chaque peintre de quelque envergure a été en mesure, par le passé, dinventer un espace qui lui soit spécifique ? Michel Tyszblat vient dy parvenir pour son compte avec beaucoup de naturel, comme suite logique de ses recherches conduites depuis plusieurs décennies. « Déjà avec les écrous, javais travaillé cette notion dobjet posé sur un fond quil fallait contredire.
Aujourdhui, jessaie daller plus loin ». Essai réussi, et « transformé » comme disent les joueurs de rugby, puisque les découvertes de Tyszblat aboutissent à toute une série. Ainsi, deux sortes de « trouées » viennent maintenant percer ses tableaux : les trouées de sens nées des rencontres improbables entre objets figuratifs et formes indiscernables, et les trouées spatiales qui confèrent les unes et les autres une subtile qualité dinstabilité aux oeuvres.
Jobserve avec intérêt quune aquarelle de Klee, en 1922, était intitulée Équilibre instable. Il me semble en effet que Tyszblat est parvenu lui-même, par des moyens qui lui sont propres, et à travers la sorte de jubilation un peu folle caractérisant son travail actuel, à léquilibre instable qui signale les meilleures réussites de lart pictural.
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Jean-Luc Chalumeau |
mis en ligne le 10/05/2005 |
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Dossier Michel Tyszblat
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