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Dossier Michel Tyszblat
Pourquoi nous avons besoin de Tyszblat |
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par Jean-Luc Chalumeau |
En écoutant les propos tenus aujourdhui par Michel Tyszblat après quarante année de questionnement de la peinture, en regardant lessentiel de son oeuvre à loccasion de sa rétrospective à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer, on mesure à quel point ce peintre de haute exigence sest trouvé impliqué parfois douloureusement dans une réflexion sur lessence de son art qui rejoint me semble-t-il, par-delà lespace et le temps, celle dun Kie Tseu Yuan Houa Tchouan : « La difficulté est mauvaise, la facilité est mauvaise. Les uns considèrent comme noble davoir de la méthode, les autres comme noble de ne pas avoir de méthode. Ne pas avoir de méthode est mauvais. Rester entièrement dans la méthode est encore plus mauvais ». Lhistoire de la peinture de Tyszblat est en effet celle de la recherche constante dun juste équilibre entre le « trop » et le « pas assez » dans tous les domaines, avec par dessus le marché lintuition que cet équilibre lui-même, dont il a tôt compris quil ne saurait être une fin en soi, doit à son tour être combattu.
Chaque tableau de Tyszblat pose la question du sens de la peinture en tant quelle nest nullement une « interprétation du monde » par le peintre (lieu commun inusable de la culture bourgeoise) mais au contraire une contradiction du monde ordinaire et la suggestion dun monde autre. Constatons tout dabord que lunivers formel de Tyszblat vient de la ville et des objets de la civilisation industrielle, non de la « nature ». Lart de Michel Tyszblat est bien un art des villes, et lhomme qui les traverse de temps à autre est sans nul doute un citadin, si bien que lon pense irrésistiblement à ce que Mondrian disait de son art : nieuwe beelding die neue Gestaltung, que lon a trop vite et trop schématiquement traduit en français par "néo-plasticisme".
La peinture de Tyszblat, comme celle de Mondrian, apparaît comme une synthèse plastique déléments inspirés par lunivers urbain et lindustrie. Comme Mondrian, Tyszblat ne procède pas par abstraction à partir du réel, mais il inscrit sur sa toile des utopies formelles dont lobservation de son environnement lui a seulement donné de fragiles points de départ. Ainsi des postes de télévision des années soixante qui ne sont en rien des descriptions des appareils visibles à ce moment, mais bien plutôt des anticipations fulgurantes des formes des ordinateurs des années 2000. Tyszblat, qui na eu quune brève période expressionniste abstraite au début de sa carrière, est rapidement devenu un peintre figuratif ne procédant pas principalement par simplification des éléments du visible, mais plutôt par invention de formes nouvelles à partir de ce quil peut observer autour de lui.
Sans le vouloir expressément sans doute, il a construit une oeuvre que lon peut qualifier de néo-plasticienne, sil est vrai que le peintre de cette obédience est essentiellement celui qui est davantage concerné par les moyens de lart et moins par ses ressources expressives. Néo-plasticien en ce sens précis, Tyszblat nest certes pas allé jusquà renoncer à la forme et à limiter ses tableaux à des rapports de positions ou de situations réciproques, cest-à-dire à la seule composition. Des formes demeurent et saffirment, qui sorganisent à partir dun centre de manière centripète : il ne sagit jamais dun essai dorganisation, centrifuge celui-là, de lespace environnant (on se souvient que Mondrian fixait sur le mur de son atelier new yorkais des petits panneaux de couleur quil déplaçait en cherchant à révéler le vide qui leur servait de fond).
Mais autour de ce centre, les formes sont soumises à des sollicitations contradictoires car le peintre, comme disait André Lhote (qui fut pendant quelques mois décisifs le maître de Tyszblat) est « cet animal complexe qui, dune façon peut-être plus étroite quaucun autre artiste, doit obéir dans la même mesure aux sollicitations successives de la matière et de lesprit ». Lhote nétait sans doute pas lui-même un très grand artiste mais, bon pédagogue, il se gardait denseigner des théories intangibles à ses élèves ; il savait bien que la loi doit être méconnue à un certain moment « afin dêtre avec émerveillement retrouvée un jour ».
Tyszblat, de ce point de vue, est toujours demeuré un fidèle disciple de Lhote : il na pas cessé de cheminer entre des interrogations multiples, des options inconciliables, des alternatives inquiétantes, jusquà régulièrement faire surgir sous son pinceau les solutions plastiques qui étaient, en même temps, redécouvertes de la théorie. Figuratif venu de labstraction, Tyszblat ne sarrête jamais à lapparence littérale des objets mais il sintéresse à ce que Kandinsky appelait leur apparence « littéraire ». Il entame à chaque tableau un dialogue avec eux qui ressemble fort à un résumé dun pan entier de lhistoire de la peinture. Tyszblat a peint beaucoup de tableaux, il en a vu et étudié infiniment plus encore ; il est pétri de culture artistique, et bien entendu tout cela lui est de peu de secours pour mener loeuvre à son terme. Il est toujours tenté de demander « faut-il ? » (à lui-même, ou à dautres, comme en témoigne limportance, dans son parcours, de ses conversations avec Martin Barré). Mais Kandinsky a toujours été là pour le ramener à lessentiel : « Il ny a pas de il faut en art. Lart est éternellement libre. Lart fuit devant les impératifs comme le jour devant la nuit. »
Il est certainement difficile de comprendre que lextraordinaire liberté dont témoigne le parcours plastique de Tyszblat est payée du prix de tous ces « faut-il ? » quil lui est impossible de ne pas poser. La liberté conquise à force de travail et de méditation pourra paraître arbitraire à quelques uns. Ceux, très exactement, qui ne sont pas et ne seront jamais sensibles à la résonance intérieure de la forme. Pour reprendre un vocabulaire cher à Kandinsky, Tyszblat est typiquement un peintre qui a choisi de soumettre sa création à la « Nécessité Intérieure » dont on sait quelle se décompose en trois étapes.
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Jean-Luc Chalumeau |
mis en ligne le 10/05/2005 |
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Dossier Michel Tyszblat
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