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[verso-hebdo]
03-09-2009
La lettre hebdomadaire
de Jean-Luc Chalumeau
MARTIAL RAYSSE ET INGRES
Au musée Ingres de Montauban, pendant l’été 2009, une splendide exposition sur le thème « Ingres et les modernes » réunissait plusieurs chefs d’œuvre du maître néo-classique et une centaine d’artistes « modernes », de Matisse et Picasso à Cindy Sherman, Robert Mapplethorpe ou la très contemporaine vidéaste Jill Miller (née en 1973), les uns et les autres s’étant inspirés de lui. L’historienne de l’art Amélie Adamo rendra compte en détail de cet événement dans le numéro 54 de Verso (en ligne en octobre), et je voudrais quant à moi évoquer aujourd’hui le cas de Martial Raysse, un de ceux qui s’est particulièrement attaché à la Grande Odalisque, avec un tableau de 1964 d’une incontestable autorité. L’artiste s’est concentré sur le visage, qu’il a « amplifié, défiguré et magnifié », selon les mots de l’un des commissaires, Jean-Pierre Cuzin. Raysse, qui avait vécu à Los Angeles en 1963, avait goûté là-bas une version américaine de l’univers hédoniste de Nice, sa ville natale. Cette expérience l’avait directement influencé. La série Made in Japan (ainsi nommée pour suggérer avec ironie qu’il copie industriellement des chefs d’œuvre de Cranach, Tintoret ou Ingres à la manière japonaise) est en effet conçue dans l’esprit d’appropriation et de détournement caractéristique du Pop-Art américain, mais aussi du Nouveau Réalisme français dont il fut l’un des co-fondateurs. Le tableau est réalisé à partir de l’agrandissement d’un cliché dont Raysse n’a gardé que les contours. L’Odalisque est devenue un grand plan vert jouant sur un fond uniformément rouge : l’artiste n’a que faire, en 1964, des conventions de la représentation, il entend créer un nouvel espace pictural, joyeusement iconoclaste, et va par ailleurs jusqu’à un humour quelque peu insolent en insérant une mouche en plastique en haut de la composition. La réussite est complète, et le tableau est resté emblématique du Raysse pop-artiste. Mais d’autres œuvres de ce dernier figurent dans l’exposition, datées 2001 à 2007 : des essais au crayon et à l’aquarelle d’après le visage de l’Odalisque, ou bien reprenant la totalité du beau corps méticuleusement détaillé par Ingres. Jean-Pierre Cuzin nous dit qu’il s’agit d’ « un des grands dialogues picturaux de ces dernières années ». Peut-être, mais alors un dialogue pathétique, car dans ces essais apparaît la maladresse du « moderne ». Il y a vingt-cinq ans, Martial Raysse m’avait confié que « maintenant, il allait essayer de devenir un peintre de tradition française ». Il citait comme modèles Philippe de Champaigne, Poussin et Ingres, lui qui avait superbement barré le nom de leur héritier, Matisse, sur la couverture du catalogue de la grande exposition de sa jeunesse, au Stedelijk Museum d’Amsterdam ! Aux prises avec Ingres, il ne cache pas ses énormes difficultés, et intitule un crayon/aquarelle de 2001 : « Ingres rend fou ». Cet aveu est bouleversant . Celui qui aurait pu tranquillement gérer la gloire médiatique acquise dans les années 60, s’attaque en vieillissant à ce qu’il ne sait visiblement pas faire : dessiner selon la tradition, et il accepte avec simplicité de l’exposer. Chapeau ! Cet aveu constituait l’un des aspects les plus intéressants de cette exposition exceptionnelle : on peut être un grand artiste et se reconnaître incapable de parvenir au niveau du maître que l’on a choisi. N’est pas Picasso qui veut.
J.-L. C.
jl.chalumeau@usa.net
03-09-2009
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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