Un art qui vaut son pesant d'or *
Tout commence (selon toute vraisemblance) par une sale affaire d’argent :
elle implique un certain Judas Iscariote. Pour comprendre qui fut l’apôtre
qui a trahi Jésus de Nazareth, il faut surtout prêter crédit à l’évangile
de Jean. L’auteur de l’Apocalypse n’a de cesse de jeter
l’opprobre sur l’homme qui allait conduire à l’arrestation,
la condamnation et la mort infamante du Christ sur la Croix. Il en fait même
un démon (6 7). Un démon, donc un être maléfique.
Mais c’est oublier le rôle véritable des démons
dans la religion hébraïque : ce n’est pas un diable
ou un suppôt de Satan, comme le veut le dogme catholique, mais un émissaire
de Jéhovah. Le Tout-puissant envoie un démon, un de ses émissaires
sur terre, pour mettre à l’épreuve de sa foi le malheureux
Job en faisant périr les siens, en le ruinant et en le réduisant à la
désespérance. Qualifier Judas de démon n’est donc
pas nécessairement parler d’un être mauvais, vénal
et délateur. C’est une personne qui accomplit une mission dictée
par Celui qui n’a pas de nom. Il accomplit un geste inqualifiable pour
que le sacrifice puisse avoir lieu, pour que le fils de Dieu meure et ressuscite
enfin. Cette interprétation donnerait un peu de crédit à l’évangile
apocryphe de Judas, qui en fait l’apôtre favori du Christ.
Toujours selon Jean, Judas serait la quintessence de l’avidité.
Son immoralisme et sa cupidité sans borne sont traduits par la question
qu’il aurait posée aux autorités du temple : « Que
voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » On lui propose
la somme que la loi mosaïque stipule avec précision pour la vente
d’un esclave : trente sicles d’argent. (Matthieu, 26, 14-16 – cf.
Exode 21, 32))
L’histoire de la félonie de Judas n’est pas exempte de
quelques contradictions d’un Evangile à l’autre. L’aparté de
Jésus avec son apôtre a pour objet de lui faire comprendre à demi
mots qu’il sait tout du marché qu’il vient de conclure
pour le livrer à la justice, est reporté chez Jean. Toujours
chez ce dernier, après le lavement de pieds, Jésus s’adresse à ses
disciples et déclare qu’il y a un traître parmi eux ;
Judas demande alors si c’est de lui dont il parle ; le Seigneur
lui répond sans détours : « Tu l’as dit » (on
retrouve cet échange dans Matthieu, 26 25). Pourquoi le Christ pose-t-il
cette question à ses douze compagnons, alors qu’il aurait déjà fait
comprendre à Judas qu’il n’ignorait rien de ce qu’il
avait fait contre lui ? Est-ce une façon de mettre l’accent
sur une condition sine qua non du rachat des péchés des hommes ?
L’épisode où Judas, écrasé par la honte
et le remord, est désireux de se repentir en se débarrassant
des trente pièces et qui finit par se pendre est véhiculé par
le seul Matthieu (27, 3-5). En revanche, les Actes nous fournissent une version
complètement différente de la fin de Judas.
Quoi qu’il en soit, la traîtrise de l’apôtre est
demeurée dans l’histoire occidentale le signe de l’infamie
du peuple juif, qui passe pour être responsable de la mort du Messie.