L’horreur est humaine ?
L’exposition au demeurant s’intitule « the artist
is présent »,
et c’est vrai car, tout en bas, au rez-de chaussée, l’entrée
du musée est occupée par une action interactive : l’artiste
(habillée) est assise et fait face, la mine sévère, immobile,
hiératique, tel un sphinx, à des spectateurs volontaires qui se
succède les uns aux autres, l’idée étant d’établir
partenariat privilégié entre l’artiste et le public.
Seulement voilà, une fois l’envie de vomir surmonté,
on a le sentiment qu’au-delà de ce déballage, de chair
de sexe er de sang, l’artiste obéit aux impératifs d’une
démarche cohérente et forte. L’artiste a su tout au long
de sa vie se mettre en scène pour exhiber de façon violente
l’horreur d’une condition humaine vouée à la souffrance, à l’horreur,
au carnage, une condition en survie, dont la crucifixion christique est le
symbole. Et c’est peut-être cette crucifixion que l’artiste
ne cesse de rejouer exhibant sa nudité ensanglantée. L’horreur
crée ici un choc esthétique qui porte à s’interroger
sur la vanité, l’orgueil, le sadisme du genre humain, une horreur
qui rappelle les œuvres sanglantes de l’Art Baroque, celles qui
exhibent sans concession la souffrance des martyrs suppliciés. Telle
est du moins l’analyse, à laquelle nous souscrivons, du critique
Arturo Danto, sollicité pour le catalogue, qui voit à travers
les actions de Marina Abramovic la continuité de cette esthétique
de la souffrance christique préconisée par les Jésuites
et le Concile de Trente et d’où est sorti un art qui exalte
une sorte de vérité crue de la souffrance contre l’enjolivement
des formes propres à l’art classique de la Renaissance.
La démarche de Marina Abramovic est de confronter son corps à l’extrême,
au risque de sa propre mort. Elle ne cesse de se mettre en péril, faisant
de son corps un lieu d’expérimentation de sa limite de résistance.
Une de ses premières performances consistait à jouer à la
roulette russe avec un révolver dont le barillet était chargé d’une
ou plusieurs balles et de tirer ensuite la vraie balle pour bien indiquer à l’assistance
que l’arme était belle et bien chargée. Une autre consistait à s’installer
au milieu d’une étoile à cinq branches en proie aux flammes.
Le résultat : asphyxiée par le manque d’oxygène,
l’artiste a été in extremis secourue par un médecin
présent, qui a compris le danger.
L’art d’aujourd’hui , explique Marina Abramovic a cessé d’être
un résultat acquis, une œuvre définitive, mais demeure
un processus en reconfiguration permanente, une manière d’établir
un lien avec le public qui s’inscrit dans le hic et nunc du présent,
et non dans l’illusoire transcendance d’une œuvre morte une
fois (sans jeu de mot) achevée. L’art contemporain s’inscrit
donc dans un processus « notationnel », en ce sens que
les œuvres, comme une pièce de théâtre ou un morceau
de musique, ont pour vocation d’être rejouée, interprétée,
improvisée selon une partition écrite, laissant une large part à l’improvisation.
Abramovic ajoute également que l’art n’est fait pour être
ni beau ni laid, mais pour créer un choc, faire germer une vérité dans
l’esprit de l’assistance, une prise de conscience, et pour elle
donc, l’action, la performance est le procédé le plus efficace
pour servir la vérité de notre monde.
Finalement, impossible de ne pas considérer l’artiste Marina Abramovic
comme une authentique artiste d’avant-garde, qui choque, mais si elle
choque, c’est sans doute pour démontrer que c’est notre
univers qui d’abord est infâme, choquant, révoltant. Les œuvres
de Marina Abramovic toujours inachevées, toujours vivantes, sont pourvues
de cette force, de cette incandescence , de cette énergie qui nous portent à entrevoir
notre monde comme une réalité terrifiante, dissimulée
sous le voile du mensonges médiatique. L’art comme dévoilement ?
pour reprendre l’expression de Heidegger. Il y a dans l’œuvre
de Marina Abramovic une démarche christique, un appel à la rédemption, à demander
pardon, à hurler son désarroi, à vouloir soi-même
se mettre en péril, se crucifier, pour expier les fautes commises par
le genre humain.
Quelques
liens vers le travail
de Marina Abramovic