Suivre une luciole (Virginie Le Touze)
Le cinéma muet lui offre ses cartons ou ses intertextes. D’ici
et d’ailleurs. Elle concède au hasard le grain de sa voix et
des émotions comme sur un cheval à bascule. C’est à peu
près tout. L’art du décalage et de la joie, on le trouve à son
acmé dans la vidéo Euphorbia, où elle filme, elle joue
avec Eric Duyckaerts, un scénario à dormir dehors. Coucher
dedans. La caméra en a le vertige, la tremblote. Les cadrages sont
pris dans un maillage hilarant. Dérapages de l’œil, des
regards, des voix, de l’image, des lois de l’apesanteur. Jeux
de mains malins. Ivresse à tous les étages. Prétexte à la
noix. Histoire d’une petite fleur.
On frise le roman à l’eau de rose, on voudrait nous aussi chanter
la vie en rose, la voir en rose, couleur incarnée, plus passante que passée,
couleur affichée du temps de VLT. Ne dit-on pas : « Il n’est
si belle rose qui ne devienne gratte-cul ».
Conte érotique. Lecture à haute voix. Objet unique livre/CD.
Ecriture gourmande qui plonge un doigt dans quelques clichés et se
pourlèche d’images sucrées fantaisies au goût du
jour. Une voix qui raconte un intemporel masqué derrière « il était
une fois ». Narratrice diseuse de bonne aventure, Circé l’ensorceleuse,
vampe fébrile, petite fée jouisseuse, maladie d’aimer,
le thermomètre en perd son mercure. Il y a des moments où le
rose est bel et bien ce rouge à l’outrance dessaturée,
qui pleure dans un lait de fraise. Mais avant, dessins érotiques elliptiques.
Crayons. Gris. Pudeur de l’impudique. En série. Tout petits
corps enchevêtrés perdus dans l’immense blanc que la page
de papier exhale.
Enfin VLT jardinière et entomologiste. Et quoi d’autre la prochaine
fois.
Une ancienne galerie tristoune, est transformée en mini prairie. Vocabulaire
et dispositif touffus : gazon, lavande, terre, caisses, documentation, système
d’irrigation pour l’arrosage, automatisation prévu pour l’éclairage
diurne. Importation d’un écosystème et d’un biotope.
Voilà le lit/nid de quantités de lucioles. Dans les ruelles sombres
de la Vieille Ville, quand la nuit vacille entre chien et loup, les minuscules
clignotants s’allument. Le regard peut alors se laisser guider. Les passants
lèchent les vitrines pour voir le mystère de la nuit parsemée
de petites étoiles. On les avait oubliées. Celles qui éclairaient
les nuits de notre enfance derrière les lignes de béton. On les
capturait dans des boîtes d’allumettes perforées. Du temps
où l’on pouvait errer dans la périphérie et se perdre.
Avant les banlieues chics ou pas, les routes pour autos et les voies privées.
Campagnes déflorées. Et le soir, VLT part avec son épuisette à la
chasse aux lumières dans les prés survivants. Renouveler l’élevage.
Avant de s’éteindre la luciole se réincarne. Sans nostalgie.
Il y a un goût de l’ordre dans ce foisonnement. Une réorganisation.
Faire, défaire, refaire, parfaire. Dans la durée. Il y a dans cet
hypercontrôle d’une situation, la place pour l’enchantement,
le hasard de l’émotion. Poser. Se poser. Reposer. Déposer
armes. Les choses de cet univers parlent sans bavardage. D’ailleurs on
se passe très bien d’un texte qui parle de son œuvre. On met
un point final au texte. Alors que le travail en cours ne manie que la virgule
et la parenthèse.
Sophie Braganti,Nice le jour du poisson. Avril 2010