Les artistes et les expos
Ronan Barrot, « Eblouie à l’ombre des Barrot »
par Amélie Adamo

      C’était un jour de Novembre.

      Un de ces nombreux jours où l’envie soudain me prend de me nourrir un peu. De me perdre en territoire peinture. Cet après-midi-là, j’étais restée sur ma faim. Je traînais le pied dans les rues de Paris, frappée de quelques lassitudes mortelles. L’œil éteint. Faut dire que la cité grouille d’endroits où le regard s’ennuie ferme, à l’heure officielle d’un nouvel académisme bien sagement occupé à jouer la mascarade de la contemporanéité. Là, le diktat des critères de marché et le règne d’une bureaucratie culturelle attachée à réduire la complexité du champ de l’art pour faire vite, simplement et clairement, de la communication pour téléspectateurs moyens ; ici, l’absurde cynisme des imageries kitsch désinvesties de toute fonction symbolique ; là encore, la froideur aseptisée d’une peinture niant sa corporéité au profit du pur concept. Et il faut bien l’avouer, moi je préfère à tout cela : le risque des enjeux esthétiques et le trouble du poétique, la chaleur de l’expérience humaine et l’inexplicable capharnaüm de la peinture, et son érotique matière et l’ivresse de son odeur !

      Le pas lourd, je marchais donc un peu morose. Le soir allait bientôt tomber. J’étais alors décidée à rentrer chez moi. Quand passant du côté quartier des Beaux-Arts, je me souvins de lui. Ses derniers tableaux devaient être exposés dans une galerie non loin de là. Je l’avais déjà rencontré, à deux reprises, voilà plusieurs années et sa peinture avait gravé dans ma rétine quelque chose d’indéfinissable dont le souvenir depuis ne m’avait plus quitté. Empreinte sensible brûlant encore ma mémoire d’une flamme dont la puissance - magie de la peinture !- était même montée en intensité avec le temps. L’envie me prit soudain de le revoir. Conduite par l’espoir d’y trouver à nouveau quelques délicieux feux qui réanimeraient mon œil anesthésié par l’air ambiant, je me dirigeais avec empressement vers la galerie fameuse.

      J’entrais…
      Difficile de décrire la rencontre avec les tableaux. Toujours reste trop faible le langage face à la peinture. Ce fut comme une présence sensible que ne pouvaient entièrement circonscrire les frontières de l’image et du sujet. Une présence qui venait de plus bas que la signification. Qui montait tout droit de la matière pour frapper directement aux portes de l’esprit et pincer fort les cordes du cœur. À chaque regard, c’était un peu comme entrer dans une chambre sourde : en un étrange silence, où expiraient et fiction et bruits extérieurs, se levaient des sonorités qui paraissaient venir tout droit de l’intérieur. Telle une symphonie des profondeurs des nuits humaines, montait ici pour moi le chant des noirs, déclinés en variations comme autant de poèmes. Harmonies nocturnes dont la justesse des accords, du geste à la couleur, ouvrait sur quelques contrées imaginaires.

Les artistes et les expos : En lisant les leçons de ténèbres de Patrizia Patrizia Runfola : la célébration de Beaugency par Justine Lacoste

mis en ligne le 14/01/2011
pages 1 / 2 / 3
suite >
 
action d'éclat